BLUR - The Great Escape (1995)
- Tonton Touane
- 21 avr. 2021
- 6 min de lecture
(l'énervante exception britannique)

C'est avec une impassibilité de moule marinière que j'ai appris le week-end dernier la mort de Philip Mountbatten, Duc d’Édimbourg, et accessoirement bibelot officiel de la reine du Royaume-Uni. Ma retenue légendaire (et la fermeture des frontières pour les pauvres) m'a empêché d'aller présenter mes condoléances à Zaza II, à son fiston «Charlie belles oreilles» et à toute la bande du drugstore. Pensez-vous, ils n'avaient sûrement pas besoin que le vieux claque, après la gifle médiatique que leur a administré le petit prince Harry et son abominable mégère Megan... pauvre royaume, empêtré dans les affaires de famille, sans compter cette fucking pandémie qui vient surmonter un pudding déjà chargé au Brexit ras-la-margoulette jusque là.
Seule solution à leur enchaînement de coups durs, les vacances...les vraies, avec un petit yacht de rien du tout, un repas intime à 62 convives dans du palace doré loin de la grisaille londonienne, exactement comme dans le livret accompagnant le fabuleux album de Blur (tu croyais que j'allais jamais en parler, hein? Avoue!) qui s'intitule justement The Great Escape, la grande évasion, dans la langue de Beckham. Elle est pas belle la vie (des riches) ?
Ce compact-disc sorti en 1995 a tourné sur la platine familiale un bon moment avant de disparaître lors de différents déménagements. À l'époque, la concurrence fait rage dans notre discothèque et dans les hit-parades. Pour plus d'infos sur le sujet, je te renvoie à l'incommensurable papier dédié à la guerre de la Britpop sur ce même site qui fourmille de mille et un savoirs inutiles.
Pour moi, inutile de débattre une heure, les londoniens mettent une sévère peignée aux mancuniens, pourtant solides pourvoyeurs de riffs.
La différence? Probablement la richesse du song-writing de Damon Albarn (chant, claviers) et la patte veloutée de Graham Coxon (guitares, banjo, saxophone) font de Blur un groupe qui zigzague entre les tirs de mortiers, se jouant du rock, pratiquant la pop enlevée et finalement tourne le dos aux schémas classiques qu'on est en droit d'attendre d'une bande de petits énervés de la frange et de la six-cordes. Tout au long du disque, Albarn nous dépeint une série de personnages riches, importants, et pourtant perdus, dont la vacuité semble liée à l'impossibilité d'être heureux.
La décadence personnelle des traders, conseillers parlementaires et autres chanteurs à succès accompagne la fin de ce siècle qui a tout vécu, y compris le pire. Ambiance.
Dès le départ, Stereotypes nous saisit par des à-coups de synthés comme autant de secondes d'un compte-à-rebours avant le «vrai» début de l’œuvre. Nous faisons face à un truc très organisé, presque martial dans sa diction et sa rythmique, avant de plonger, au fil de l'album, vers des ambiances plus organiques et colorées, notamment grâce à la palette de Monsieur Dave Rowntree à la batterie et à la programmation. Le texte nous met face à ces personnes de la haute (société, banane... pas la haute Savoie) qui trompent leur ennui en s'adonnant au sexe débridé, loin de l'image qu'ils (elles) véhiculent.
Comme le martelle le refrain: Il doit y avoir plus à vivre qu'à voir et à imaginer...ça commence bien, on dirait.
Le single Country House est au cœur de la bataille de la Britpop, puisque la maison de disque a reculé sa sortie pour coïncider avec Roll with it des Sourcil brothers. La genèse de ce titre est tordante, jugez plutôt (l'ami de Mickey, ou le chien, je ne sais plus) : David Balfe, l'ancien manager de Blur, s'est retiré du monde urbain, de son rythme affolant et de sa coke frelatée, pour s'installer dans une demeure à la campagne dans le Bedfordshire avec excusez du peu, neuf piaules et six salles de bains...une bicoque sans prétention à 2 M£ pour lui, Madame et leurs deux bambins chanceux.
Voilà, une retraite monastique comme on les aime!

Best days nous plonge dans une atmosphère liquide, une plongée incessante au fond de la piscine mentale de l'auteur. Le solo après chaque refrain constitue une simple descente de gamme à la gratte, renforçant cet aspect vertigineux. Je repense soudain à la pochette de l'album, avec cette omniprésence de l'eau autour des trois personnages dont l'un est en plein...plongeon.
La solitude, le détachement et le besoin de changer d'air se fait ressentir dans la plupart des textes du chanteur, profondément mélancolique comme doit l'être un bon auteur des années 90. Hello Kurt, hello Trent. Cependant, l'habillage sonore est parfaitement opposé à cette sensation d'étouffement, puisque ponctué de cordes et de cuivres sautillants.
La musique fait semblant et trompe son monde. Pas les paroles.
Charmless man nous ouvre les portes d'un salon bondé à la rencontre d'un drôle de type, parvenu et obséquieux, saignant évidemment du nez, qui vend son mode de vie. L'envie de se barrer de ce genre de rencontre inutile nous chatouille les entrailles et on le laisse à ses « nanani nanana » vides de sens.
Le titre suivant, Fade away, relate la vie (encore, mais comment écrire des chansons sans raconter la vie?) d'un couple moderne, tristement individualiste. Aucun plan, aucun projet commun, juste deux existences côte-à-côte et le refrain «All you ever do is fade away» est d'un cynisme effarant. À quoi bon tenter de prévoir des trucs, puisqu'à la fin tout meurt. Amis nihilistes, bien le bonjour.
T.O.P.M.A.N est un portrait acide de l'homme actuel, chic et sans aspérités, mais cachant plus Predator que Casanova lorsque le soir vient. Une sorte de Charmless man, en moins bling-bling.
Ma pépite perso est le morceau suivant, sobrement nommé The Universal. Il apparaît dans l'épisode 4 de la saison 2 de Daria, comme quoi le bonheur ne semble avoir aucune limite. Sérieusement, ce morceau me touche au plus profond. Si la progression d'accords est superbe et inventive, l'intervention de l'ensemble Kick Horns y est aussi pour beaucoup. Ces musiciens ont accompagné un nombre incalculable d'artistes.
Le clip vidéo de The Universal est basé sur l'imagerie de l'Orange Mécanique de Stanley Kubrick, alors que la pochette du single sorti en novembre 95 reprend l'esthétique de 2001 l’Odyssée de l'Espace du même Stan.
Mr Robinson's Quango est à nouveau l'exemple de la démarche de Damon Albarn. Le protagoniste (Mr R, pour préserver l'anonymat) travaille dans une agence quasi-non-gouvernementale pour l’intérêt de la nation, il côtoie l'administration et les généraux, les hommes d'affaire et va pourtant écrire au stylo « Je suis un vilain garçon » dans les cagoinsses de la mairie...drôle de passe-temps, si vous voulez mon avis.
He thought of cars est un peu en retrait, même si les enchaînements couplet/refrain sont imparables, entre le calme du schéma voix/guitare et la profusion de détails sur les parties plus velues. À écouter au casque, on ne sait plus où donner de la tête. Et toujours cette mélancolie lancinante. Cet album est physique, je te dis.
Le cas Ernold Same est carrément à part, déjà parce qu'il inclut la participation d'un membre du Parlement (et futur maire de Londres) Ken Livingstone, paye ton guest. Mais il sort aussi du lot artistiquement, à la frontière de la musique de rue. Le clavier joue un air d'orgue de barbarie et le narrateur (Livingstone) énumère les sempiternelles actions quotidiennes de ce pauvre Ernold. La mélodie en ternaire nous invite à tourner sur nous-même et répéter les mêmes mouvements. Le travail à l'usine est un peu une vie d'Ernold Same, qui sait?
Globe Alone est un coup de taser dans les testicules, après le calme des derniers titres. Ce petit bout de dynamite dure pas plus de 2min20 et ne décroche pas une seule seconde. Le rebond nécessaire pour ne pas s'endormir sur cet album qui compte quinze pistes, ce qui est à peine croyable pour un disque de pop.
Dan Abnormal démarre sur un bordel de gratte et basse très foutraque, reflétant parfaitement le champ de bataille qui règne dans la tête du gars Damon (le titre est un anagramme pas trop subtil de son nom). L'ambiance éthérée de l'instru nous plonge dans ses rêves Lynchiens et la présence de l'orgue en rajoute une couche de sauce creepy, style films Z des années 50/60.
Un léger relent de Girls ans Boys plane sur Entertain me à l'écoute des premières notes d'intro, à ceci près que le rythme du clavier est inversé. Néanmoins, la similitude avec le premier hit de Blur ne dure pas plus de quelques secondes et l'ambiance, bien que bondissante, est à la morosité de la semaine avant le relâchement très attendu du week-end. Une vie urbaine de merde, en somme. Amuse-moi, occupe-moi, sors-moi du trou que je creuse du lundi au vendredi.
Yuko and Hiro est parfaitement la suite du morceau précédent et...me met un cafard, mais grave! Il ne s'agit pas d'une mauvaise chanson, loin de là, mais la mélodie du clavier et les paroles sont déprimantes. Quand je parlais auparavant de musique organique, celle-ci est à la limite de la consistance réelle. On peut presque la toucher. Elle est liquide, option poisseuse.
Pour avoir épluché les version studio et live des quinze chansons, il paraît inconcevable de ne pas mentionner la performance du bassiste Alex James qui m'impressionne de facilité et de nonchalance. Le mec est capable de sortir une ligne fluide et mélodieuse en fumant sa clope et draguant la fromagère du deuxième rang...je lève mon cheddar à sa désinvolture.
Enfin, pour être concis, le quatuor nous a pondu cette année-là un ouvrage multi-dimensionnel, à des kilomètres des clichés rock. Certes, la puissance du live nous rappelle qu'ils ne font pas dans la dentelle, mais quand ces messieurs entrent en studio, ils se permettent bien des frivolités, et ce n'est pas sans rappeler quatre autres britanniques des années 60 qui ont changé la musique à jamais. Une exception culturelle que bien d'autres ont cherché à rattraper, sans succès.
Zou, je file au pub...ah oui mais non, on peut pas... Cheddar pour tout le monde, alors?
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