BOBY LAPOINTE (1922 - 1972)
- Tonton Touane
- 15 janv. 2021
- 4 min de lecture
(Un héritage familial)
À Armand.
Je me suis toujours demandé d'où sortaient les expressions foireuses de mon paternel lorsque j'étais gamin. Ses jeux de mots, calembours, mots-valises, toutes sortes de manipulations et jongleries verbales qui ne le rendaient pas moins sérieux, puisque proférées avec une impassibilité de patère austère, mais plus...plus bondissant, ou coloré, je ne sais pas trop. D'ailleurs, lors de mes révisions d'histoire-géo, il me gratifiait de ces pitreries linguistiques pour m'aider à retenir des noms chiants, tel « Vase clos de Gama », célèbre navigateur de la Renaissance qui quittait son port tout gai pour se rendre en Inde-et-Loire. Voilà, j'ai pas mieux comme exemple.
Apparemment, son papa lui aurait transmis ses gènes de poète bucolique et un humour verbal à faire pâlir une blague à tabac, mais ça, je l'apprendrai beaucoup plus tard ...
Et puis dans mon adolescence, j'ai eu l'immense privilège d'intégrer la chorale du collège dirigée par Mr Alban Lapeyre. Là, un prof de français (José Dagouassat, baryton moyen mais comédien généreux, soit dit en passant) suggéra que l'on reprenne des chansons d'un certain Boby Lapointe, dont je n'avais jamais entendu parler. Je découvris La maman des poissons et T'as pas t'as pas tout dit et ce fut comme une révélation. On pouvait donc se marrer en chantant? Même les adultes? Je connaissais les chansons pour enfants de la Goya. Pas le guitariste, non. Chantal, sa cousine un peu bébête (quoique superbement mise en scène, je reviendrai un jour là-dessus)
J'avais entendu le père Brassens, qui marmonnait ses histoires de cul entre un bénitier et un cachot, mais jamais je n'avais pensé qu'une vraie grande personne pouvait écrire en couleurs... à l'époque, la poussière, le noir et blanc, l'odeur de l'anti-mites recouvraient les partitions et les textes écrits aux temps anciens de mes parents. À cette époque déjà, je souffrais d'un orgueil artistique qui opposait le rock à toute autre forme musicale, petit couillon que j'étais ...
Ce grand escogriffe barbu (je te la pique, celle-ci, Barcella!) a vécu à peine 50 ans, mais aura pris le temps de traverser une guerre mondiale, pendant laquelle il fuit le Service de Travail Obligatoire en Autriche et prit le pseudonyme de Robert Foulcan pour passer du territoire occupé en zone libre (c'est digne d'un film des Charlots, à mon avis). À la suite de la libération, il vécut de petits boulots, comme scaphandrier dans le port de la Ciotat, puis à Paris comme marchand de matériel de puériculture ou installateur d'antennes de télé ... la débrouille des années 50, quoi ... pour un gars du sud qui n'a pas que de la Suisse dans les idées.
En parallèle, il écrit des textes et des poésies, mais personne ne veut se frotter à son niveau de langage. Chargés en contrepèteries, les textes sont d'une finesse rare et il faut faire preuve d'une dextérité pour maintenir le rythme des gags verbaux, d'autant plus sur une scène. Las, il commence à interpréter lui-même ses propres créations, sans rencontrer le succès, jusqu'en 1954.
La mayonnaise finit par prendre lorsque Aragon et Castille, l'une de ses chansons arrive sur le bureau de Bourvil pour illustrer le film Poisson d'Avril et notre ami Boby est amené à rencontrer des personnalités en intégrant le milieu du cabaret parisien.
Il croisa les parcours de Raymond Devos, un autre maître des mots, Anne Sylvestre (qui a disparu il y a peu) et surtout Georges Brassens, un gros moustachu débonnaire venu du Sud, comme lui. L'un est de Pézenas, l'autre de Sète et ces deux gredins vont s'entendre comme des frères, partageant la scène sans pour autant partager la plume. Un acte manqué, si vous voulez mon avis.
Il apparaîtra dans une dizaine de films, dont le fameux Tirez sur le pianiste avec Aznavour. La scène où on le voit chanter Framboise est sous-titrée, tant le texte est difficile à déchiffrer. Un chanteur français sous-titré, on aura pas fait mieux !
Et pendant ses périodes de galère financière, son camarade de bourrage de pipe le sortira du crottin en épongeant ses dettes. Mais cela attendra le milieu des années 60 et l’avènement des yéyés (Johnny, Sylvie, Richard, Claude, et toute la bande du drugstore) et de leurs chansons bubblegum, qui le relégueront au rang de vieux machin.
Le gars Boby est aussi un mathématicien chevronné, un passionné d'aviation, et sera même en 1968 à l'origine d'un nouveau concept de représentation graphique et phonétique de numérotation, nommé le système bibi-binaire, qui servira le monde puisqu'il préfigure l'informatique moderne.
Oui, Boby Lapointe a aussi joué avec des 0 et des 1.
Il est à noter qu'en 1997, un astéroïde de la ceinture principale a été découvert et qu'il porte le nom de 27968 Bobylapointe.
Un putain d'astéroïde, les gars.
Ce mec a tellement laissé de traces qu'on n'a pas donné son nom à une école, mais carrément à un corps céleste.
Si l'envie de parler de lui m'a sorti du pageot à quatre heures du mat', c'est pas juste parce que je vous ai promis deux chroniques dans la même semaine, hein... mais parce que ce mec et ses jongleries se matérialise dans ma tronche de fou depuis que je suis à mon tour papa.
Ma platine vinyle alterne entre comptines et hard rock. N'oublions pas que la matière principale à enseigner aux enfants est le jeu. Y en n'a pas d'autre. Et quand le jeu se mêle à la musique, mon autre dada, c'est là qu’apparaissent les chanteurs rigolos. Par chance, les chanteur rigolos ont ce trait commun d'écrire intelligemment. Boby Lapointe, Brassens, Renaud, les Frères Jacques, Pit et Rik, Pierre Perret, Barcella, Aldebert, Jean Yanne et des meilleurs... sont les grains de sel qui se transmettent à table du parent à l'enfant et parfois en sens inverse, ce qui est pratique pour éviter de devenir un vieux con.
Je suis un obsédé textuel. Et c'est la faute à mon daron qui le tient de son daron. Alors merci, papa. Je fais passer.
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