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FREDERICKS, GOLDMAN & JONES : Peurs (1990)

  • Photo du rédacteur: Tonton Touane
    Tonton Touane
  • 22 mars 2020
  • 4 min de lecture

(l'enfer, c'est encore les autres.)



“Tous ces regards qui me mangent… Ha, vous n’êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. Alors, c’est ça l’enfer. Je n’aurais jamais cru … Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril .. Ah ! Quelle plaisanterie. Pas de besoin de gril : l’enfer c’est les autres”.

Jean -Paul Sartre a écrit et fait jouer Huis clos d'où est extrait cette tirade en 1943, qui relève d'une observation simple de la société moderne. Oui, moderne, jusqu'à aujourd'hui. En gros, rien, ou si peu a changé.

Il y a trente ans maintenant, le chanteur le plus écouté du top 50 et le plus boudé par la critique – les journaux le prenant pour un chanteur à minettes asexué et pas charismatique pour un dollar – s'offre le kif de monter un trio, car dira-t-il : «Je pense les chansons pour un groupe, pas pour moi tout seul. Je ne me sens bien qu'entouré d'autres personnes, talentueuses si possible. Ma formation rock me pousse à partager les expériences et non les individualiser». De ce fait, il semble logique que Jean-Jacques Goldman invite la choriste américaine Carole Fredericks et son comparse guitariste gallois Michael Jones (officiant déjà dans Thaï Phong en 78), deux de ses plus proches collaborateurs, à venir occuper la lumière qui semble l'aveugler.


Goldman, c'est un mec qui s'entoure. Et quand il écrit, c'est propre et juste, que ce soit pour sa pomme ou pour d'autres, comme Hallyday, Dion, Grégoire, Trust, Khaled, Zaz, Calogéro, Jean-Marie Bigard... je m'arrête là, hein, c'est mieux.



Propre et juste, enfin presque toujours. Oui, la dernière chanson qu'il nous a pondue avant de raccrocher sa casquette d'Enfoiré en chef, je ne la digère toujours pas.



Il a pu faire côtoyer les styles musicaux, les thèmes et les interprétations les plus variées, et aucun artiste de son gabarit ne mérite mieux que lui la palme de la mixité heureuse. Et tout ça sans faire de promo!


Goldman déteste depuis ses débuts les journalistes et leur fait savoir dès qu'on l'asticote un peu (avec humour, of course.) J'ai en souvenir une pochette qui accompagne l'un de ses disques live (probablement Traces)qui est simplement hilarante, montrant les articles les plus insultants de la presse, rivalisant de condescendance, sans tenir compte de la vraie popularité du gars. En musique, seul le public compte. Les critiques professionnels sont payés pour parler, même s'ils ne savent pas. Et bim.



Je reviens sur le titre, avant de me faire choper pour désertion face à l'ennemi. Je me suis attelé à cette histoire car il y a une semaine, ma radio locale a programmé Peurs entre deux flashes spéciaux d'urgence sanitaire. Les gens qui toussent en ce moment sont considérés comme des étrangers, des parias, et même s'ils n'ont qu'une miette coincée dans le gosier, ils font peur. L'époque que nous vivons est hallucinante.

Que ce soit les violences entre confessions, factions, clans... ou les jugements faciles dont nous nous rendons coupables au quotidien, pardon d'être cucul, mais l'incompréhension et la haine sont partout.

Les peurs qui sont illustrées dans le texte (et dans le clip) sont celles qui ont injustement été légitimées par l'histoire récente de notre bon pays. De belles jeunes femmes qui se moquent d'une quinquagénaire qui en chie parce qu'elle n'a pas pu terminer ses études et donc ne pète pas la classe, des supporters qui miment un juif à kippa croisé au détour d'une virée, une famille algérienne qui se resserre en voyant un grand homme noir entrer dans l’ascenseur...

L'homme et la femme ont peur de l'inconnu, de ce qu'elle pense connaître, de ce qui n'est pas lui ou elle.

La Société voudrait qu'on cohabite (pour reprendre le cri d'amour du crapaud) et qu'on donne sa chance à tous de faire ses preuves, afin d'exister en paix, mais cette même société est composée d'éléments individuels qui au moindre signe divergent se regroupent sous une bannière, une couleur ou un mode de vie qui est forcément excluant. C'est dans les villes que le phénomène est mis à jour, aux premières heures des HLM, mais les campagnes comptent également leur lot de clivages et il est difficile pour un gars qui détonne de s'intégrer dans un paysage social. Pas vrai, Kamini ?



Anxiogène? Je savais pas ce que voulait dire cet adjectif jusqu'à ce que j'aille chercher dans un dico récent. Les médias nous surinent avec ce terme qui sort à bout portant comme la poésie sort de la bouche d'un leader politique d'extrême-chose. Je te donne la définition, si tu es comme moi, fatigué de répondre «C'est pas faux» à chaque occurrence de ce mot barbare et scrabblisable à volonté (cherche pas, je viens de l'inventer) : «qui provoque de l'anxiété, de l'appréhension, voire de l'angoisse.»


Jean-Jacques Goldman, Carole Fredericks et Michael Jones sont trois artistes aux origines différentes; leurs ancêtres se sont très certainement mis des mandales, entre-tués, déportés, condamnés, torturés, mais la qualité première de l'Art est de se servir d'un passé pour en faire un nouveau bien commun. Un héritage. Et ça, ils l'ont compris.


L'album qui comporte le titre Peurs est bêtement intitulé Fredericks Goldman Jones, soit le nom des trois responsables dans l'ordre alphabétique. Il s'est vendu à plus de 2 millions d'exemplaires. Deux millions de foyers en France ont dans leur discothèque ce disque et cette chanson. Donc en comptant en moyenne 2,9 personnes habitant sous le même toit, ça nous fait à la louche six millions de gens normaux, de citoyens comme toi, comme moi. Mais surtout comme toi (salut JJ!).

Je suis sûr que beaucoup d'entre ceux qui l'ont acheté ont oublié ce que voulaient dire ces bouts de réalité mis en musique. Ou peut-être ont-ils zappé la neuvième plage sur la platine.

Écoutons des chansons! Ce n'est pas seulement beau, ça peut aussi parfois nous rendre la raison.



 
 
 

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