HOLE: Celebrity Skin (1998)
- Tonton Touane
- 2 févr. 2020
- 6 min de lecture
(ou comment reboucher des fissures avec de l'or)

Le rêve américain. Le vrai, je veux dire. La réussite sociale, la célébrité, l'argent durement gagné, et donc mérité, la chouette maison sur la colline qui va bien, les invitations aux soirées caritatives, galas ou autres parties fines... tout ceci avait échappé à Courtney Love durant tant d'années, la belle eu sa revanche en revêtant sa robe de veuve joyeuse. Enfin émancipée de cette aura grunge, de cette réputation de bitch infréquentable qu'elle traînait partout, la belle découvre enfin LA vie de vedette made in U.S.A.
Sauf que... Faudrait pas oublier d'où vient Cendrillon, quand même. Les deux premiers albums de Hole sont là pour en témoigner, la vie est une chienne qui ne desserre pas les crocs.
En 1991, Pretty on the inside déchire le voile sur la vie de bohème de la frontwoman, de strip clubs, où elle officiait pour subvenir aux besoins du groupe, en concerts punks Pattysmithiens.... Les thèmes de prédilection, ma p'tite dame? Mais bien sûr, les voici: la prostitution, le suicide, l'avortement, l'estime de soi qui fait du yo-yo ou encore une spiritualité erratique. Hésitant entre le Hardcore californien et la No Wave new yorkaise, Courtney Love et Eric Erlandson guitariste et co-compositeur du groupe jusqu'aux années 2000, recrutent une section rythmique lourde (Jill Emery à la basse et Caroline Rue aux fûts, qui ne resteront pas longtemps en poste) et envoient un son abrasif qui colle aux textes, violents et intimes jusqu'à la dégueulance de soi... ce premier effort est, selon moi, un pendant féminin au Bleach de Nirvana. En même temps, l'album est produit par Kim Gordon de Sonic Youth et Don Fleming de Gumball. On en attendait pas moins, question ambiance poisseuse.Une tournée européenne réunissant les groupes sus-cités, en compagnie de Nirvana, Babes in Toyland et Dinosaur Jr, a été en partie filmée et sortira quelques années plus tard sous le titre 1991, the year the punk broke. Allez fouiller ça, c'est de la bonne. Y'a même les Ramones qui se baladent sur la péloche !
Live through this, sorti en avril 94, est à peine plus doux, enfin plus mélodique. Le propos reste rugueux comme un réveil dans un club échangiste pour hérissons, mais la prod est beaucoup plus léchée, le son n'est pas noyé sous un torrent de saturation... Il se permet même des ballades acoustiques de premier choix. Patty Schemel reprend les baguettes de la Caro et Kristen Pfaff se saisit de la basse laissée vacante par Emery. L'excellent Miss World est une ode à la supercherie qui me touche particulièrement. Le reste est encore tout à fait écoutable, comme on dit, et on sent une Courtney impliquée dans sa vie de mère et de femme, luttant contre ses démons narcotiques et dépressifs. La plume de Cobain hante le disque, les suites d'accords ainsi que les sujets abordés sont quasiment les mêmes que sur In Utero, mais vus à travers un utérus, justement... Il est considéré comme l'album le plus représentatif de l'univers de Hole. Bon, c'est pas de bol, son homme repeint le mur de la maison familiale avec son génialissime et néanmoins torturé organe cérébral, quasiment au moment où la consécration arrive pour notre Cendrillon. Évidemment, tout le monde va lui tomber dessus pendant des années. Et je me suis certainement retrouvé dans ce tas de cons, apportant mon analyse de professionnel du coup monté et de l'intrigue... je rappelle que j'ai à l'époque entre douze et seize ans. Un avis qui compte, donc.
Mais le disque que j'aborde un peu plus en profondeur aujourd'hui sort quatre ans après et tous les détracteurs de Mme Love veuve Cobain sont contraints de se rendre à l'évidence: Elle a survécu et a même pris de l'assurance!
Celebrity Skin est un disque de chansons d'adulte, emmené par une Courtney déterminée non pas à enterrer la hache de guerre, mais plutôt la jeter au loin, dans la baie de Malibu. La perdre, quoi. Elle n'aborde pas frontalement les critiques, elle les dévie. Et c'est ce qui rend le propos intéressant, intelligent. Beaucoup s'attendaient à une jolie coquille vide, il n'en est rien! Après avoir recruté Mélissa Auf der Maur pour remplacer Kisten Pfaff, emportée elle aussi par la dope en 94, le groupe entre en studio et va errer pendant plusieurs mois, le tout sous la houlette de Michael Beinhorn, officiant à la cabine d'enregistrement en remplacement de Brian Eno, premier choix (qui aurait carrément transcendé cet album de son aura post-punk) et Billy Corgan, leader maximo des Smashing Pumpkins. Celui-ci viendra néanmoins à la rescousse du groupe pour donner une direction musicale claire et homogène, le processus créatif étant mis à mal par l'emploi du temps de la diva et ses égarements artistiques Il chopera d'ailleurs la basse sur Hit so hard et Petals. À cette époque, Love assure la promo de The people vs Larry Flint avec Woody Harrelson et Ed Norton, réalisé par le culte Milos Forman. La gloire au cinéma prend beaucoup de temps et d'énergie à la patronne, elle est évidemment malmenée par la presse et les fans au sujet de sa vie privée, et notre ami gratteux Erlandson qualifie lui-même cette période de neuf mois d'«harassante et pénible». On est à mille lieues du premier disque qui avait demandé à peine plus de quatre semaines de travail. La rançon du succès est ahurissante quand on passe du statut d'icône grunge à celui d'Hollywood star, surtout quand se rajoute la présomption de culpabilité concernant son veuvage, jugé diablement opportun par ses détracteurs. Le boulot s'en ressent forcément et l'alchimie ne reviendra que lorsque Love concentrera ses forces sur la déconstruction du rêve californien... Côté instrumental, on a droit à de belles chansons pop énervées, le quatuor ne reculant pas devant la mélodie et les refrains accrocheurs. Malibu se détache des autres titres par son orchestration très typée 80's, avec des claps sur la caisse claire. Ah oui, curieusement, la batteuse Schemel s'est vue gentiment écartée du projet lorsque Beinhorn, la prenant en grippe, a compilé les plus mauvais passages des répétitions et en a fait écouter un montage à Courtney, prouvant par A+B qu'elle n'avait définitivement pas le niveau. À la place, le batteur de studio Deen Castronovo (qui attendait déjà dans une pièce voisine) va assurer l'enregistrement. Ce coup de surin aura raison de l'amitié que portait la batteuse au groupe, puisqu'elle quittera Hole après les photos promo et deux concerts, dégoûtée par cette manipulation honteuse. Il n'empêche que Castronovo va faire le job, sans en mettre partout et il est difficile de remarquer la différence, ce dernier étant habitué à officier pour un demi-million de groupes rock et métal.
Son nom veut dire «château nouveau», ça n'apporte rien à cette chronique, mais ça me fait bien plaisir. Le sublime Northern Star (tout comme le sautillant Heaven tonight, un poil plus FM) est écrit et composé par Eric Erlandson seul, marquant la galette de sa patte sensible, à tel point qu'on a l'impression qu'il sort des entrailles de miss Love. Son interprétation et l'orchestration grandissante prend aux tripes et même une écoute de ce morceau à fond dans une Dacia Sandero ne peut lui enlever son effet théâtral. Possible que compère Corgan est passé par là pour y insuffler un peu de Tonight tonight dans le studio, mais la base de la chanson est imparable. L'alchimie entre Love et Erlandson est évidente, et il est super dommage que cette collaboration n'ait pas continué depuis 2002. Les événements artistiques et personnels ont eu raison de ce duo qui se nourrissait de la déchéance américaine pour en sortir des pépites.
Je n'ai pu m'empêcher, à la ré-écoute de l'album, un rapprochement pour le moins curieux Même si Kurt n'est plus (trop) présent dans les textes, quelques saillies font entrevoir son fantôme au détour d'une phrase. «It's better to rise than fade away» qui répond à la lettre de suicide de Kurt, usant de son côté les paroles de Neil Young «It's better to burn out than fade away», ou le titre Use once and destroy qui me rappelle la première ligne de Radio Friendly unit Shifter... Plus qu'une présence, on sent que l'antihéros malgré lui a infusé dans l'encre de sa belle. Les références littéraires se multiplient dans l'album, on croise au carrefour des couplet T.S Eliot, Dante Rosseti, grand papy William Shakespeare ou encore Neil Diamond. Que du beau linge, ne serait-ce que pour prouver que la belle n'a pas pioché ses phrases que dans sa culotte. Les poètes et essayistes d'un passé plus ou moins lointain sont remis au goût du jour par cette plume acérée, déterminée à retourner les clichés qu'on entretient sur la côte ouest à grands renforts de chirurgie, d'accords entre avocats et de peinture dorée.
Si on grattait le maquillage de Miss Monde, on entreverrait certainement une petite fille qui avait peur d'être seule. Cet album est autant un acte de rébellion qu'une catharsis. En embrassant la célébrité, Courtney va au devant des critiques, mais les défait aussitôt en chantant avec émotion ce qu'elle a vu dans ce monde-là. Les dorures comme la merde. Si j'écoute encore Celebrity Skin, c'est qu'il a superbement vieilli et que les chansons ont encore une résonance.
J'avais 16 ans en 1998 et je trouve que Hollywood a drôlement débordé sur le globe, n'en déplaise aux influenceurs bobos qui pensent que le monde est en train de changer. Il n'en a jamais été question.
So long, suckers.
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