JOE COCKER (1944-2014) Besoin d'un interprète ?
- Tonton Touane
- 5 janv. 2022
- 4 min de lecture

Nous ne sommes qu' héritage.
Depuis le réflexe de marche du nouveau-né jusqu'à l'éclosion de nouvelles modes rejetant les précédentes (lesquelles rejetaient déjà leurs précédentes qui à leur époque balayaient tout, et ainsi de suite...), tout ce qui nous concerne est le fruit d'un long processus d'imitation et d'adaptation, de déni, mais toujours de récupération inconsciente. Toujours.
Peu importe le sujet, il en va de même pour la politique que pour la musique ou les menus à la cantine. On enlève la viande, on la remet, on rappelle le topinambour et le panais à la rescousse, puis on les accommode à la sauce fusion thaïe pour donner plus de pep's.
Bref, on fait du neuf avec du vieux. Exit Maïté, voici Michalak.
On recycle depuis l'aube des temps. Il a pourtant bien fallu un premier mec qui s'amuse à dessiner un canasson sur une paroi rocheuse pour qu'on découvre, dix mille ans plus tard, des centaines de représentations plus ou moins réussies un peu partout en Europe.
Et parfois, rarement, d'ailleurs, certaines copies surpassent l'original.
Ainsi ai-je besoin de crier tout mon amour pour Joe Cocker, qui avait déjà atteint l'âge d'un papi quand j'étais môme, mais ô combien important dans la discothèque familiale! Loin d'être un simple copieur de chansons, il est pour moi le premier interprète de With a little help from my friends, ode à l'amitié un peu cucul, écrite, composée et enregistrée par les Beatles en 1967. Preuve que ce morceau n'était pas en or massif, les « patrons » Lennon-McCartney ont laissé le mic à leur batteur Ringo pour ne pas trop se compromettre en cas de bide commercial.
La découverte se fit devant ma télé au début des années 90, dans la série Les Années coup de cœur. Le générique du feuilleton m'a marqué plus que le reste, puisqu'il était accompagné d'images d'archives familiales, et grâce à cette chanson, j'ai pigé que le mot «friends» signifiait amis (bien avant Chandler, Monica et toute la bande dix années plus tard).
Mais par dessus tout, la voix du gars Joe prenait une place incroyable en sortant des maigres enceintes de notre vieille Grandin à tube cathodique.
Retour aux sources :
La reprise sort en single en novembre 1968, puis est intégrée à l'album en mai de l'année suivante, soit moins de deux ans après l'originale, mais pour parfaire le bouzin, l'orchestration se voit chamboulée. Oubliez la chansonnette. Finie la voix de comptable de Ringo Starr. Envolée, la rythmique de promenade champêtre (qui a son charme, bien sûr, mais...).
Bonne année, maman.us épique, voire grandiloquente, car enrichie d'une partie guitare issue d'un des cerveaux les plus machiavéliques du monde de la zizique: Ladies and gentlemen, Jimmy Page, encore et toujours à l'affût du bon plan...
Et les chœurs ne sont plus poussivement fredonnés par les trois camarades scarabées, mais par quatre vraies choristes chevronné(e)s (tu me trouveras l'origine de l'adjectif, steuplé?) qui accompagnent l'organe le plus chargé en malt et en cailloux du Royaume-Uni. Monsieur John Robert Cocker, un solide gaillard élevé au grain d'orge dans la banlieue de Sheffield et plombier-gazier de son métier. Le mec a écouté son Ray Charles comme on va à la messe, il a ingéré le blues, le rock (qui n'a pas encore vingt piges) et pas mal d'autres substances qui transforment la réalité en épisode de Mon Petit Poney...pour nous cueillir de sa voix rocailleuse et chaude. Un Irish coffee en rentrant d'une balade sous la pluie anglaise, voilà l'image qui me vient lorsque j'écoute cette bande de hippies géniaux.
Formé autour du chanteur, le groupe se compose des meilleurs éléments britanniques et américains. Le mix entre la soul de l'oncle Sam et le rock plus abrasif des Anglais fait des étincelles et nombreuses de leurs reprises seront considérées comme supérieures aux originales.
Au pif, je cite Feeling alright de Traffic, Just like a woman de Dylan, ou même Don't let me be misunderstood, qui à l'origine fut écrit pour Nina Simone en 64, puis anobli par The Animals en 65, puis à nouveau sorti des cartons en 77 par Santa Esmeralda...
Au rythme où ça va, on ne parle plus de chanson mais d'une fille de joie dans un bar à matelots imbibés!
Bon, tu l'auras compris, la troupe de Joe, c'est un groupe de bal en mieux. Je serais curieux d'entendre un quatorze juillet animé par Joe Cocker et son Grease Band. Peut-être que les pompiers feraient moins de dégâts à la buvette, qui sait?
Le premier enregistrement public du bonhomme, capté dans l'auditorium d'un lycée de Sheffield (en 67), est déjà la promesse d'un potentiel vocal hallucinant, qui me rappelle Janis Joplin à la même époque. Sans dèc', on pourrait les intervertir dans leurs groupes respectifs, tellement ces deux-là vivent leurs chansons! Note qu'il ont tourné au même carburant, le même chapelet de caillasse dans la gorge, et pourtant pas la même trajectoire, ces deux-là. Le destin, sûrement.
Je me souviens avoir usé le double album live Mad Dogs and Englishmen qu'on avait à la maison pendant des lunes, imitant la gestuelle spasmodique du frontman, sans me douter à l'époque qu'au cours de cette tournée de 70/71, le groupe a enchaîné 65 concerts en 57 jours. Oui, tu as bien lu. Ça branlait pas.
Et les versions live des morceaux des Stones, d'Otis Redding, de Leonard Cohen, d'Isaac Hayes, Robbie Robertson, et bien entendu des Beatles sont magistrales, mon ami! Va chercher, c'est du bon!
Et tout au long de sa carrière, après avoir traversé l'Enfer puis retrouvé la rédemption (comme les autres, ceux qui ont survécu), il a continué à nous gratifier de sa voix toute pétée et pourtant juste, comme en témoigne You are so beautiful (1974), Unchain my heart (1987) Night calls (1991), la liste est méga longue. En gros, il a « cockerisé » tout ce qu'il a aimé jusqu'à sa mort en décembre 2014, des suites d'un cancer à la con, comme d'hab.
Merci pour les frissons, Joe, Et tant pis si t'as pas fait carrière dans le gaz de ville.
T'auras chauffé le monde entier, mec.
Bonne année, maman.
Je viens juste de lire ta chronique sur Joe Coker et je suis fière encore pour tes chroniques et celle-ci me touche beaucoup. Je te souhaite aussi une bonne année ainsi à toute la famille. Merci et continu. Mamoune