JOHNNY CASH - Hurt (2002)
- Tonton Touane
- 17 oct. 2021
- 3 min de lecture
(La fin sublime d'un monstre du rock)

Il y a peu d'artistes pour lesquels j'ai ressenti de la vraie tristesse lorsqu'ils ont passé l'âme à gauche. Récemment, Charlie Watts nous a quittés et j'me suis juste dit: «Mince, il avait dix mille ans! Au moins, il s'est bien éclaté...». La disparition de Lemmy m'avait impacté également, peut-être Joe Strummer, mais peut-être moins que celle de Johnny Cash. Ce mec est selon moi la fusion parfaite entre le tonton qui t'apprend toutes les conneries à faire avant la majorité pénale et le grand-père gâteau qui rumine son passé houleux, nonchalamment installé dans un fauteuil à bascule. Lemmy n'a pas eu le temps de devenir un grand-père, dans les mentalités. À la rigueur un papy Jack Daniel's.
Vers la fin de sa carrière, Johnny Cash est approché par Rick Rubin, vénérable pape de la prod rock et hip-hop des années 80/90. Le barbu a côtoyé les plus grands noms du spectre bourrin, de Beastie Boys à AC/DC en passant par Slayer, Red Hot Chili Peppers et autre Public Enemy.
Fort d'une réputation solide et d'un projet honorable, il va proposer au vieux lion abîmé par les excès et la rédemption (ça use, les bondieuseries, t'sais...) d'enregistrer chez lui, à la maison, des chansons nouvelles, mais aussi pas mal de reprises pour le moins surprenantes.
Tranquille, au coin du feu, juste deux vieux potes qui ressassent leur passage sur Terre autour d'un verre de Chianti de bon aloi. Voici la genèse de la saga American Recordings (du nom de la compagnie de double R.)
Ces six disques collaboratifs (2 sortiront après le décès du bonhomme) sont comme un vernis qui vient peaufiner le monument du rock et de la country qu'est l'homme en noir.
Rubin a eu le nez creux, comme d'habitude. On en attendait pas moins du briscard qui sait mettre en valeur ses poulains comme ses idoles.
Et Johnny Cash s'est laissé approcher, tel un fauve sur le déclin qui expose ses flancs, sans plus rien craindre.
Ni des hommes, ni de Dieu.
Lors de l'enregistrement de leur 4ème album commun en 2002, au détour d'une session, le bon gars Rick propose au bon gars Johnny une chanson que son pote Trent Reznor avait sortie en 1995 avec son groupe de métal indus Nine Inch Nails. Ce morceau, sobrement intitulé Hurt, a pour thématiques l'automutilation, la dépression et la dépendance, comme tout l'album dont il est issu (The Downward Spiral)... sujets ô combien sautillants qui vous flattent l'existence à coups d'aiguille et de désespoir glacé... Tu reprendras bien un peu de cyanure, dans ton mojito?
Naturellement, Cash refuse de toucher à ça, s'imaginant assez mal reprendre un titre à l'instrumentation aussi lourde et violente. Ce n'est pas pour lui. Mais Rubin a plus d'un tour dans son sac et lui propose une version dépouillée, ainsi qu'un léger aménagement de texte. Ainsi, les mots ressortent en négatif et frappent le vieil homme. Une gratte, un piano et la voix mourante de l'ancêtre mettent une patine idéale à cette chanson déjà originellement organique et magistrale.
Le tour de chant devient tour de force. Et cette note, cette corde de piano martelée jusqu'aux confins du morceau... hypnotisante, sépulcrale. Elle nous emmène au bout de notre existence.
Johnny Cash réinterprète ce titre au crépuscule de sa vieet le sens de la chanson prend une autre tournure.
Les défauts de la voix, ses aspérités, la respiration difficile du chanteur servent un texte bourré de mélancolie et de ce désir de faire « moins pire » (parce que « mieux » est impossible), notamment dans ces dernières lignes. Reznor avouera lui-même que la version épurée de Cash sublime l’œuvre qu'il avait écrite, alors âgé d'une trentaine d'années...
Ce coup de maître est, selon la légende, l'un des derniers enregistrements du Man in black qui s'est éteint le 12 septembre 2003 à l'âge de soixante et onze ans.
Moi, j'avais vingt-deux ans et j'ai quand-même pleuré, pas beaucoup, mais un p'tit peu.
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