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LES CHANTEURS ENERVANTS

  • Photo du rédacteur: Tonton Touane
    Tonton Touane
  • 6 avr. 2020
  • 7 min de lecture

(ou l'avancée de l'art grâce à une bande de francs-tireurs...et de fumistes)


Ah ! Quel doux rêve n'avons-nous point tous caressé ; celui de vivre dans un monde sans refrain pénible, sans couplet honteux de simplicité, sans mélodie répétitive jusqu'à la nausée... le monde serait teeeeellement plus lisse et sans histoire ! Depuis plusieurs décennies (plusieurs siècles, en fait), certains perturbateurs n'hésitent pourtant pas à battre en brèche le monde de la musique/chanson pour se forger une solide réputation de casse-couilles, voire d'hérétiques. On les appelle autrement aujourd'hui, mais l'effet produit sur les oreilles des gens, et donc sur leur pensée, ressemble à celui du légume que tu regardes avec un irrespect à peine contenu, à moins que ce ne soit un haut-le-cœur. Je sais pas, je vois pas bien d'ici. L'une des origines se situe aux alentours du XIIème siècle, lorsque les « goliards »,des clercs, étudiants et magistrats un peu tapageurs, se sont mis à mélanger le chant religieux et les chansons de contestation, profitant de l'occase pour se lâcher contre le système ecclésiastique qui partait (déjà!) en quenouille. Certains chants parlaient de boissons, d'autres d'amour. La critique du roi côtoyait les dénonciations des hauts fonctionnaires du clergé, sans pour autant dénier l'amour de Dieu. Le profane et le sacré dans une même œuvre, voilà un bon terreau pour faire pousser la mauvaise herbe !

Carl Orff composera le très célèbre Carmina Burana (1935-36) en recopiant une partie du recueil retrouvé en 1803 dans une abbaye allemande.




De cette origine (il y en a d'autres!) est née la race des artistes qui dérangent, qui font passer le message avant la bienséance et servent parfois de symboles dans leur société, leur époque. Même si la technique vocale ou la richesse musicale n'est pas le point fort de ces béliers, il est indispensable d'avoir dans le monde artistique des mecs qui veulent faire entrer un carré dans un rond. Sinon, clairement, on s'fait chier.

Des exemples ? En voilà, une bonne suggestion, mon bonze ami !

Le trompettiste/chansonnier/écrivain Boris Vian, né il y a tout juste cent ans (mort en 1959), a participé à l'évolution du jazz à la française, au roman noir et au théâtre intellectuel. « Perçu comme incontrôlable, unique en son genre mais sans genre précis, homme sans compromis avec un zeste d'ironie, il continue pourtant sa trajectoire, laissant derrière lui une trace indélébile qui est parvenue jusqu'à nous, puisque ses écrits sont enseignés dans nos manuels scolaires ». Ses chansons Le Déserteur, J'suis snob, Le blouse du dentiste, On est pas là pour se faire engueuler ont grave secoué la jeunesse française et grave emmerdé le pouvoir en place. Entre la guerre d'Indochine et celle d'Algérie, Vian se place en anti-militariste convaincu face au gouvernement, au point que certaines de ses chansons deviendront des hymnes pour toutes les générations pacifistes qui suivront.

Ma préférée ? La java des bombes atomiques, mon camarade !



Avant lui, déjà, Aristide Bruant (1851-1925) a lui aussi fait coulé beaucoup d'encre, et de glaviots aussi, je suppose. Jeune homme issu de la bourgeoisie, il va suivre ses parents dans la dégringolade sociale et côtoyer les bas-fonds de Paris, ouvriers, mendiants, prostituées et les gens de théâtre. À l'époque, tous ces groupes sociaux cohabitent dans les quartiers mal famés, et Bruant va s'imprégner de cette sève révoltée pour mieux l'injecter dans ses textes.

La violence et l'anarchie prônée par le chansonnier vont plaire et séduire une catégorie au dessus de la sienne, mais déranger les plus hautes sphères. La vulgarité n'est pas de mise, sous la IIIème république. Bruant crache et insulte le public, qu'il soit rare ou nombreux, et on se déplace pourtant des beaux quartiers pour s'encanailler au Chat Noir, puis au Mirliton, deux cabarets parisiens qui vont voir fleurir la chanson réaliste, dont la dernière interprète officielle s'appelle Edith Piaf. Bruant fut ouvertement anti-Dreyfusard, considéré comme antisémite et pourtant, il sert de porte-étendard à tous les révoltés de la société moderne. De quoi être détesté de tous les côtés. Brave mule sur laquelle on peut mettre tous les fardeaux du pays.



On peut comprendre que la plupart de ces artistes aient été conspués par une partie conservatrice, désirant garder sa France propre de tout déchet.


Les héritiers de ses chanteurs qui écrivent au bazooka s'appellent Ferré, Brassens, Renaud, Gainsbourg, Dalida, non je déconne. Eux-mêmes enfanteront de nouvelles générations d'artistes engagés, insoumis (jusqu'à un certain point, quand même, faut bien bouffer, hein...) et le moins qu'on puisse dire, c'est que la controverse fait parler et par extension, fait vendre. Tiens, regarde Le France de Sardou, en 1975, il s'est fait défoncé par les gardiens de la bien-pensance, mais il a atteint les 800 000 copies, tout de même ! C'est autant que le dernier Johnny, sans rire, alors qu'il a pas eu besoin de casser sa pipe, le gars Michel !



Petit aparté pour préciser que je ne m'intéresse aujourd'hui qu'à notre bon et cher pays de France, hein, fermeture des frontières oblige.

Mais il y a depuis une trouzaine d'année une autre catégorie de pénibles : ceux qui ont décrété que se moucher dans un micro ou répéter la même phrase sur une instru de 3min15 était l'idéal pour notre jeunesse. En fait, nombre de ces artistes – puisqu'il faut évidemment les appeler ainsi, vu les scores de ventes et téléchargements pharaoniques qu'ils se tapent...bah oui, de nos jours, vivre de ton art fait de toi un artiste. C'est couillon, mais c'est comme ça – nombre de ces artistes, disais-je avant de me couper honteusement la chique, ont trouvé LA formule magique. Une suite d'accord « qui rappelle ce truc-là, mais si, tu te souviens pas ? Ça fait tinlinlinlinlin... », une rythmique qui fait taper des pieds même aux grands accidentés du 15 Août et surtout, des paroles ultra-fastoche à retenir. Des slogans, voilà, mis bout à bout.

Et c'est cela qui les rend agaçants. Ils réussissent là où d'autres avec plus de talent (ou simplement plus de trucs à dire) restent devant la porte du succès comme Brandon devant le Macumba un vendredi soir parce qu'il est seulâbre et bourré comme une cantine.

Là, aucun exemple ne sortira de ma propre expérience, mais z'allez voir que je partage bien sûr certains avis de mes contemporains.

Bo le Lavabo de Lagaf' (en 90) était au départ un sketch qui a réussi à se hisser à la première place du Top 50, en se moquant de ces chansons à la con, justement. Un an plus tard, il enfonce le clou avec La Zoubida qui restera au sommet onze semaines. Onze. Aujourd'hui, détenir et a fortiori écouter le 45 tours est quasiment reconnu comme une incitation à la haine raciale. Le degré de honte éprouvé quand j'allais dans les bals après avoir passé l'âge d'imiter l'accent maghrébin est à peu près au dessus de là. Tu vois ? Bon, ben ça, c'est moche.



Et René la taupe, on en parle ? Premièrement, sur l'image, c'est une marmotte, et pas une putain de taupe. En 2009, un studio de sonneries mobile crée le personnage et fait le buzz en chantant d'la merde. C'est le titre, oui oui. Le single qui suit, Mignon mignon (ça s'améliore), va gaver la France pendant de longs mois en 2010, mais pourtant se classe en haut des ventes, avant de se faire détrôner par ... Mylène Farmer. Pour une fois qu'elle rend service au pays en ouvrant la bouche... merci ma vieille. Je t'en dois une.

René la musaraigne est donc un produit façonné au pixel, les paroles sont écrites sur le bureau de la directrice marketing de la boîte et la cible se fait perforer, de même que mes tympans et mon innocence.


Au rayon « il/elle m'énerve, j'aime pas sa voix molle et on entend que sa chanson à la radio que je comprends rien à ce qu'il/elle dit », on a Angèle, grosse révélation de ces deux dernières années avec Brol, un album aussi inspiré que désabusé. La chanteuse belge (aïe, petite entorse au règlement, mais je m'en fous, j'ai pas mes papiers) nous livre sa courte vie sur platine, son timbre de voix traînant et sa nonchalance font hurler ses fans comme ses haters. Perso, je l'ai écoutée et elle me botte de plus en plus, cette pétroleuse !

Orelsan casse bien des roubignoles, même si la tendance est plutôt à la baisse, depuis ses deux derniers efforts. La fête est finie, « le troisième volet d'la saga »a prouvé que le branleur a enfin grandi et que clasher la Terre entière n'est pas une fin en soi. Le rappeur aspire à plus de sérénité et se pose en donneur de conseils version loser magnifique (Notes pour trop tard).

On passera rapidement sur Benjamin Biolay, Vincent Delerm, Carla Bruni, qui agacent soit par leur supposée arrogance, soit par manque de coffre quand il s'agit de passer au refrain. Pourtant, y a du texte en pagaille chez ces artistes estampillés « nouvelle chanson française ». Je présume que leurs mots dans la bouche de Kendji Girac ou Maître Gims...pardon, Gims tout court (il a dégonflé, on dirait) auraient une autre portée. Lol.

Grégoire, Sébastien Patoche, Zaz, Tryo... autant de personnes qui démangent l'épiderme de mes concitoyens depuis l'avènement du Jugement Premier, j'ai nommé le commentaire Internet. Aujourd'hui, toutes et tous sont devenus LE jury populaire et s'empresse de condamner à tours de doigts, en une nouvelle forme d'Inquisition virtuelle. Tu vois, je reviens au début de mon papier, comme quoi je ne suis pas si paumé que je crois.

Je ne ferai qu'évoquer Didier Super qui viole les oreilles (et les consciences) des internautes depuis 2002 avec son cynisme, ses fausses notes et ses pulls dégueulasses.

Télérama enterrera son premier album Vaut mieux en rire que s'en foutre et dira que c'est « le plus mauvais disque du monde et de tous les temps ». Une consécration, quoi !



Christophe Maé est capable de pondre tout un album avec trois suites d'accords, bon, ok, soit... mais Chuck Berry a fait une carrière entière avec deux riffs, bordel ! Tout comme AC/DC, qui depuis 1973 creuse le même sillon blues rock. Ils font la même chose depuis cinq décennies.



Ce que je viens de faire, c'est de la relativisation. Il y a un tas de raisons pour détester un groupe, un artiste, une chanson. C'est comme les légumes, y en a des moches, des blafards, des qui piquent un peu. Mais ils ont tous une chose en commun : ils sont utiles au régime alimentaire. Ils ont tous une spécificité propre qui, si elle disparaissait, mettrait peut-être en péril la vie sur Terre. Il en va de même pour les chanteurs énervants. Ils hurlent, ils zozotent, ils n'ont parfois rien à dire. Certains sont des clowns (salut Coluche!), d'autres de pauvres enfants perdus (salut, Swagg man!) mais ils ont tous fait avancer le bazar. La culture musicale est faite de cet amalgame de voix dissonantes, de textes qui se contredisent et je suis convaincu que chaque auditeur peut trouver une pépite là où son voisin va voir un caillou.

Je suis passé à côté de tant d’œuvres par bêtise ou négligence qu'une deuxième vie ne suffirait pas pour tout chroniquer. Mais s'il y a une chose que j'ai acquise depuis mon premier Benny B, c'est que le cœur a ses raisons que la raison ignore.

 
 
 

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