LUDWIG VON 88: Houlala 2, la mission (1987)
- Tonton Touane
- 13 nov. 2020
- 8 min de lecture
(ou le retour du come-back de la revanche)

Yo, les punks à moules.
C'est encore une fois au collège que le 38ème plus grand choc de ma life eut lieu : je devais évoluer en classe de 5ème (avant de me mettre à végéter à partir de la 4ème, hein, comme tout le monde...) lorsqu'un pote plus âgé apporta un Compact Disc en salle d'infographie. Dans ce haut lieu de contre-culture animé par Christian, un ancien soixante-huitard fumeur de haschisch, nous étions soumis à un enseignement rigoureux à base de pensée libertaire, de Bob Dylan et d'autogestion. Ainsi, tout le monde pouvait venir squatter la pièce entre deux cours, mais à une condition: arrêter de voler le matériel informatique de pointe financé par l'état. Du coup, tous les p'tits malins qui voulaient fumer des roulées et mater des cassettes vidéos de SF, de porno ou de hard rock se retrouvaient là, à suivre les discussions entre fins connaisseurs et futurs artistes maudits.
C'est Raymond W. donc, qui amena le truc musical le plus drôle mais aussi le plus subversif de ma jeune existence:
Houlala 2, « la mission » !
Bien sûr, la pochette, d'abord. Le photomontage d'une scène de guérilla dans la jungle hostile, les quatre membres de Ludwig von 88 armés, l'un perché sur un arbre, l'autre sur un pont de singe, pilotant un avion japonais en flammes ou même suspendu au train d’atterrissage de ce même avion (toujours en flammes, j'te f'rais dire!). L'imagerie est volontairement bourrine et débile, hommage fort appuyé à Rambo 2, la mission, chef d’œuvre stallonesque enrichi à la testostérone sorti en 85. Ça promet d'emblée une partie de rigolade musclée. C'est parti mon kiki!
L'intro est assurée par Carl Orff en personne, qui revient à la vie et remonte vite fait un orchestre symphonique et une chorale dans le studio d'enregistrement du Palais des Congrès pour nous réinterpréter O Fortuna, composé en 1935 (extrait des Carmina Burana, moultement utilisés par le régime nazi, puis par Michael Jackson... oui oui). La voix orff place l'auditeur alangui dans l'intrigue d'un film d'aventures où les héros feront face, profil et dos à de nombreux dangers que je ne puis citer ici, tant la peur fait trembler mon échine.
« Un, deux, trois, quatre » La fanfare punk de l'usine de Pali-kao (quatre cuivres et un tambour) nous scande mélodieusement le titre de la galette, histoire de désacraliser l'ambiance. Et en fait, tout l'album ne sera qu'une succession de trucs sérieux distillés dans un océan de conneries hallucinées. T'as compris où tu viens de mettre les pieds? Non? Dans un champ de psilocybes explosifs, tête de nœud!
Louison Bobet forever revient sur l’ascension des pavés mortels des critériums cyclistes des années 50, mais marquera surtout la rencontre de mes muscles cervicaux à l'âge tendre de 13 ans. Ça pulse, c'est con et ça suffit pour faire une éducation, poil au mamelon.
Willam Kramps tueur de bouchers est une réelle opportunité de skanker comme un communiste un jour de 1er mai. Malgré l'aspect un peu simpliste et gore de la chanson (William passe son temps à éventrer, étriper des membres éminents de l'artisanat français), il est bon de souligner que les auteurs font référence à Drôle de drame, une comédie de Marcel Carné sorti en 1937. Anecdote pas piquée des hannetons, c'est d'ailleurs dans ce film que l'on entend la célèbre réplique de Louis Jouvet: « Moi j'ai dit bizarre ? Comme c'est bizarre. », William Kramps le tueur de bouchers étant joué par Jean-Louis Barrault.
Le manège enchanté nous rappelle que les programmes jeunesse de la télévision sont hautement toxiques, qu'ils datent des années 70 ou d'aujourd'hui. Extrait de la fiche Wikipédant :
« Cette série, destinée aux enfants, met en scène le manège du père Pivoine sur lequel s'amuse la petite Margote. Zébulon, un personnage monté sur ressort, la transporte grâce à une formule magique, « Tournicoti tournicoton… », au pays du Bois-Joli. Elle y retrouve ses amis: Pollux le chien, Azalée la vache, Ambroise l’escargot, Flappy le lapin et le Bonhomme Jouvence, un jardinier commençant toutes ses phrases par « Hep Hep Hep ».
Ai-je besoin d'en dire plus? Ah oui, cette chanson a provoqué pour beaucoup une envie de découvrir par nous-mêmes la fabuleuse nomenclature des produits cités, propulsant certains élèves dans de hautes études en chimie, d'autres au service psychiatrique de la ville.
La composition de l'album mêle instruments (guitares, basse, boîte à rythmes) et collages sonores, bruitages plus ou moins maîtrisés (plutôt moins, en vérité). Le style Do it yourself est intimement lié à la pauvreté financière volontaire de la production, style que l'on retrouve dans les fanzines, affiches de concerts et pochettes de disques chers à nos petites crêtes blondes. Ici, point d'instrumentation gonflée, point de chœurs wagnériens ou de poses avantageuses sur les photos. On est comme on est, et c'est ça le but du punk. Ne pas se prendre pour quelqu'un d'autre. Voilà, j'ai fini.
(Attention, je n'ai pas écrit «Venez comme vous êtes», qui est devenu le slogan de l'enseigne au clown. Ne me donnez pas l'occasion de discuter de cela, même s'il est déjà trop tard.)
Puis je reviens pour annoncer l'attaque imminente des Guerriers Balubas, menés par un leader charismatique qui squatte le pouvoir depuis 345 ans. C'est peut-être le titre le plus sérieux et politiquement engagé, miroir presque évident de Bérurier Noir, la face sombre du rock alternatif parigot de ces années 80. Ludwig et les Bérus vont, a eux deux, ambiancer les soirées des jeunes désœuvrés qui ne connaissent ni l'opulence, ni le dictionnaire pour chercher la définition du mot opulence.
Le temps de se souvenir que, définitivement, Marcel est amnésique, on passe à table avec Elmer, le requin-marteau qui va grignoter du jambonneau à tour de mâchoires, là aussi, clin d’œil à une œuvre cinématographique bien connue, les Dents de la mer, sorti en janvier 1976 en France...
Le Steak de la mort est superbement soulignée de bruitages de haute volée, bien dégueulasses et tout.
Une légende raconte que Karim Berrouka, le chanteur, a vraiment mangé un ingé-son lors de l'enregistrement pour plus de réalisme. Je le crois fermement. N'oublions pas ses origines nord-africaines qui parlent mieux que n'importe quelle enquête scientifique au rabais. Un cri inutile sur un disque inutile en est la preuve formelle, d'ailleurs.
La face A se termine par Messire Quentin, une ode de troubadour dédiée à l'âme chevaleresque d'un noble couillon. En effet, atomiser l'équivalent de la population du Honduras pour sauver une vache à la con enfermée dans un donjon relève du fait d'armes plutôt oubliable. Cela dit, la diversité musicale des compos est confondante, si l'on compare Ludwig à d'autres formations punk de l'époque. Le groupe ne fait pas de cloisonnement artistique et n'hésite pas à se mettre en porte-à-faux avec un public qui va parfois le dénigrer au regard de son attitude baba enfantine. Genre: «Si c'est pas violent, c'est pas du punk». Va manger du verre pilé et méditer là-dessus, grand benêt.
Néanmoins, il faut donner grâce à l'auteur qui s'est bien troué le fondement à écrire en vieux français et donner un aspect patiné aux vers qui n'ont (ô combien!) rien à envier à ceux de Jacquouille la fripouille.
Une clochette nous indique le moment de retourner la galette et, heureusement, nous sommes prévenus par une voix off qui nous dit qu'il faudra retourner la galette lors du tintement de la clochette. Pratiques, les gars.
2ème bobine, extérieur nuit.
(musique de feu de camp en fond sonore)
«-Et maint'nant, qu'est-ce qu'on fait?
-On continue la mission»
Z'avez intérêt, les gars, parce que la suite est ébouriffante!
Les sectes sont très à la mode au début des années 80 et Krishna draine encore pas mal d'hurluberlus à la recherche de réalité alternative, à base de chanvre pakistanais et de prières indiennes. Les allumés de Krsna leur rend un hommage fort appuyé, avec un léger coup de coude dans les côtes flottantes (salut P'tit Will!) au passage, pour rigoler. Les adeptes de la «méditaïwan» se font virer de partout, victimes des cochons, des poissons, des citadins et des chasseurs qui les brutalisent, les pauvres biquets. Heureusement qu'il y a Dieu pour les accueillir une fois tous dans les cieux...après un suicide collectif, p'têtre bien?
Justement, le morceau suivant parle d'amour, de bienveillance et de fraternité... Tuez-les tous est le genre de titre qu'on ne peut plus sortir dans le commerce aujourd'hui sous peine d'inculpation pour incitation au meurtre de masse. Le genre de chansonnette qu'il faut donc absolument diffuser lors des manifs en tous genres, rien que pour voir la gueule des passants et du service d'ordre.
À mon humble avis, si Jean-Marie Bigard avait emmené avec lui un poste à cassette et un exemplaire de Houlala 2 la mission sur les rond-points, il serait bien lancé pour la présidentielle. Ou mort. Dans les deux cas, on aurait bien rigolé.
Au Fistfuck Playa Club, on se rencontre, on sympathise, on joint l'huile à l'agréable, en somme.
Les curés, les flics, les maîtres-nageurs, les militaires, polonais ou non, sont invités à rejoindre la cohorte des poings levés, mais c'est pour la bonne cause.
Le chant mélodieux qui suit l'intro guerrière Si jamais les oiseaux... fait figure de marqueur dans ma vie, moi qui fut un temps attiré par la rigueur et l'ordre militaires, qui faisaient cruellement défaut dans ma jeunesse. Bah c'est vraiment pas d'bol, dis! J'ai écouté Ludwig et Mr Pif Paf a transformé le mythe du soldat fier et brave en image de vieux pochtron rabougri du ciboulot et maladroit. Alors je me suis dit que, quitte à boire de la Kanterbraü, autant le faire plus près de mon domicile, sans risquer de me prendre un coup de crosse dans la courge. Et à ça, j'ai été un bon élève, ça oui!
En y repensant à ce jour, ce morceau a certainement été ma porte d'entrée vers la culture alternative, le punk rock et la certitude que la vie se vit autrement qu'en suivant bêtement les ordres.
Ce choix est moins facile à assumer parfois, mais bien plus gratifiant au final. Houlala, je réfléchis trop, moi.
Les Cowboys et les Indiens est tellement barré que je ne peux en établir d 'analyse profonde... alors disons juste que Ludwig von 88 était capable de tout, de proposer un dialogue à la Renaud entre un enfant et un adulte (Pourquoi d'abord ! En 1980) et que la poésie gamine peut tout à fait se retrouver dans un disque aussi chargé en images scatophiles et subversives, tant que rien n'est pris au sérieux. En gros, c'est pas grave de mélanger des trucs, en musique comme en tout.
Les blobs attaquent la plage me fait toujours penser à ce film tout nul de 1988 (Le Blob), mais en fait, le titre ferait référence à Danger planétaire (The Blob en V.O), une production beaucoup plus alléchante de 1958 qui nous fit découvrir le jeune Steve McQueen. Ce film réapparu en version française sur grand écran en 1977, et Karim étant un grand fan de SF et de Fantasy (il est l'auteur de nombreuses nouvelles, de romans et a créé une maison d'édition dédiée au genre), il a pu trouver énormément d'inspiration dans les salles obscures de Paris.
Les fantastiques Aventures de Mr Mc Donald au pays de merveilles se résument en un mot... à toi de le deviner!
Et l'album de notre jeunesse se referme sur une arche de Noé sans bateau, un zoo sans barrières, un épisode de La vie privée des animaux sans Bouchitey...
30 millions d'amis nous prouve que le dérisoire est aussi rock que l'engagement politique, que plein d'animaux peuvent sourire ensemble, le temps d'une photo de famille, et que ça peut sûrement être marrant, ratataplan!
Je tiens à remercier, en plus de Raymond qui m'a converti au punk débile, mon frère de son Marc F. qui a eu l'extrême gentillesse de m'offrir un exemplaire original de Houlala 2 la mission pour mon anniversaire, ainsi que David, mon tatoueur de cœur avec une flèche dedans, qui m'a fait jouer il y a quelques lunes dans son lieu de perdition (le Koslow) et fait remarquer récemment que Tuez les tous était encore une chanson d'actualité. Sans eux, pas de chronique. Et pas de chronique, crotte de bique.
Bye.
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