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RENAUD: Place de ma mob (1977)

  • Photo du rédacteur: Tonton Touane
    Tonton Touane
  • 9 janv. 2020
  • 6 min de lecture

(Il était une fois dans l'Ouest... banlieue Ouest)



Vous savez, il faut parfois se rappeler qu'il y a encore vingt-cinq ans, nous n'avions pas accès à toute l'information du monde. Du moins pas aussi rapidement et de manière aussi totale. Aujourd'hui, grâce à Internet, les modes et les courants filent plus vite que le vent. Il est quasiment impossible de durer et l'expression «faire son temps» n'a plus lieu d'être. Tu as fait ton temps à peine sorti, puisque des milliers d'autres données vont s'ajouter, s'empiler par dessus, jusqu'à la noyade... Le temps n'est plus. En quelques secondes, je peux me plonger au cœur de la préhistoire folkeuse ou dans le home-studio qui voit naître un nouveau track de trap music. Les réseaux sociaux gérés par les community managers ou les artistes eux-mêmes ont ce pouvoir d'immédiateté qui n'existait pas lorsque j'ai appris à aimer les disques.

Je ne veux surtout pas me tricoter un pull de vieux con rétrograde – merci Gotainer! - d'autant plus que je me sers de la machine pour laisser ma trace personnelle. Toute cette tirade un peu chiante pour justifier un truc que j'ai parfois du mal à assumer aujourd'hui: Renaud est un artiste majeur de la chanson française. Un mec bien.

Certes, je ne l'écoute plus comme avant, il a perdu de sa superbe, le stylo du gars est bien souvent en panne, mais il n'empêche qu'on ne peut pas nier qu'il a forgé quelque chose d'inusable, un pan entier de notre culture, un esprit de révolte et de poésie qu'on ne retrouve que chez les plus grands. Et surtout, son esprit génial refait surface de temps en temps.



Ainsi, son deuxième album est communément appelé Place de ma mob, ou Laisse béton, puisqu'il n'a aucun titre. La pochette n'indique rien, sinon la place de parking auto-proclamée «place de ma mob» par un gentil loubard devant le 18, avenue du Maine, dans le 15ème arrondissement, et le disque démarre par la chanson phare de Renaud, Laisse béton. Ce machin noir et rond est un jalon posé dans le temps. Un putain de cairn. Mais si, tu sais, ces foutus tas de pierres qu'on croise sur les chemins de randonnée et le long de côtes pour marquer son passage, ou un hommage à la nature, ou un truc dans le genre. Encore une fois, l'homme essaie de défier le temps en créant presque malgré lui, pour se rassurer qu'il est bien là. Bah cet album, c'est pareil: il nous raconte de manière franche, rigolote ou pas du tout rigolote, la vie de la jeunesse à cette époque. Une chronique, un bout de la vraie vie de là-bas, en 77, quand nos véhicules n'avaient pas d'assistances électroniques et quand on essorait la salade avant de la manger... une carte postale de ton oncle quand il avait vingt piges. 1977 est une année importante dans la musique, mais les changements au niveau culturel et sociétal ont un écho qui nous parvient, pour peu qu'on filtre les infos qu'on nous envoie au bazooka.

La crise pétrolière est passée par là («en France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées»), on passe à l'heure d'hiver sous Giscard et les yéyés sont fatigués de remuer sur une musique qu'ils n'écoutent même plus.



La révolte sonne depuis la rue, encore. Le mouvement punk se profile en traversant l'Atlantique, puis la Manche, le rock français devient hard (formation du groupe Trust) et les revendications prennent plus de place dans les textes. Le rap n'est pas encore là, mais ce n'est qu'une question de temps. La bases sont jetées et la jeunesse issue de l'immigration va ramasser ce dictionnaire de rime qui brûle... Renaud traîne de bluette amusante en vrai-faux chant régionaliste, de brèves de comptoir en protest song. Il manie la plume et le flingue, tombe amoureux de filles hors de portée et soigne son image de gangster au cœur tendre, le tout sans descendre une seule fois de sa moto! Et rien de tout cela n'est de la pose, il les a vécues ces aventures... ou rêvées, peut-être. C'est pareil, au bout du compte. L'amour d'une fille des beaux quartiers évoqué dans Adieu minette me parle, comme à chacun de mes frangins portant le perfecto. En (toute) fin de soirée, les crêteux de Bordeaux reprenaient avec malice et délectation ce refrain: «Adieu fillette, nous n'étions pas du même camp; adieu minette, bonjour à tes parents!». Parce que cette chanson, c'était toute notre histoire! Les déboires du jeune adulte qui va en soirée pourrie (La Boum), la copine chez qui on squatte quand on n'a rien d'autre à glander (Germaine), ou encore les aventures minables d'un pilier de comptoir qui se fait dépouiller par un vrai loubard (Laisse béton), c'est du même tonneau. On a tous plus ou moins connu ça, ou alors on essayait de le vivre avant d'être vieux. En tout cas, moi oui.



L'arbre généalogique des Séchan compte autant de pasteurs que de poètes et de linguistes. À la maison, la platine tourne entre musique classique et chanson française. Sa première rencontre musicale avec Hugues Aufray, Bob Dylan et Donovan influencera à jamais son style, dépouillé et poétique, et jusqu'aux années 80, il composera la plupart de ses chansons. Je salue au passage les musiciens qui l'accompagnent sur cet album, notamment l'harmoniciste J.J Milteau (un monstre du blues mondial, si si!) et l'accordéoniste Joss Baselli. Le choix d'un orchestre traditionnel est certainement hérité de sa maman, qui écoutait beaucoup de chansons des rues, entre Fréhel, Piaf, Montéhus... il rendra d'ailleurs hommage à ce courant musical du début du siècle lors de l'enregistrement public Le p'tit bal du samedi soir et autres chansons réalistes à Bobino en 1980.

Renaud, c'est le «petit» voyou, un demi-sel, un faux teigneux au regard bleu perdu dans le terrain vague. Il prend part aux événements de mai 68, participe au comité anar "Gavroche révolutionnaire" et chante Crève salope dont il reste peu de traces... il me semble avoir lu quelque-part qu'à l'âge de seize ans, il fonde carrément un groupuscule rebelle dans les Cévennes! Son histoire transpire dans tous ses textes.


Le 5 décembre 1975, il assiste à un braquage suivi d'une prise d'otage dans la rue Pierre Charron. L'un des malfaiteurs se fait descendre par la «brigande anti-gag». Le spectacle offert aux passants inspire à l'auteur l'un des plus beaux morceaux que j'aie entendu, Les charognards. Simple, triste, vindicatif et sans filtre. Qu'on soit du côté des voleurs ou des forces de l'ordre, la tension est palpable et Renaud devient journaliste, chroniqueur, témoin de son temps.

On est loin du chanteur blasé et fatigué qui a traversé cinquante ans de luttes et de bitures...alors on savoure, sans réfléchir à ce qu'il aurait produit si...

Tant de papiers sur le mec et pas assez sur l’œuvre.

Dans cet opus, Renaud lâche la bride à ses émotions, ses héros sont nobles et perdent à la fin et c'est même pas grave. Et si techniquement ça rime pas toujours ou la note n'est pas juste, il touche immanquablement le cerveau... et le cœur. L'album précédent, Amoureux de Paname (1975), était son premier jet, rempli de folk et de fleurs dans les cheveux. Il sentait bon le patchouli et le chanvre indien. Les albums suivant, Ma gonzesse (1979), mais surtout Marche à l'ombre (1980) seront plus chargé de poudre, Renaud n'hésitant pas à régler ses comptes avec la presse et les intellectuels parisiens.

Reste cet excellent deuxième disque, que j'aime à remettre sur la platine à l'occasion, pour retrouver le môme qui cherchait sa place au collège, à la cantine, dans le bus... Sur les bords de la Garonne, à mi-chemin entre les graines de dealers et les binoclards littéraires, j'ai moi aussi été un petit Renaud, espèce de Buffalo débile, avec ma bande de jeunes en mob, mes espoirs et mes défaites. Mais aussi et surtout des images plein la tête lorsque nous recopions nos évangiles sur des agendas raturés.


Il y a un an, je descendais pour la première fois de ma vie les Champs Élysées, avec Madame et l'héritier, entre deux manifs. Assurément, c'était bordel total. Le hasard et les travaux ont voulu que nous tournions dans une rue sur la droite. J'ai levé les yeux sur la plaque «rue Pierre Charron» et mes yeux se sont mouillés.

Merci Renaud.

Bonne année à tous.




 
 
 

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