RICHARD GOTAINER (1948-court encore)
- Tonton Touane
- 13 oct. 2019
- 4 min de lecture
(Le fils de pub est toujours dans la nature!)

Mes chers Bibouchous, j'ai un aveu à vous faire. J'aime profondément Richard Gotainer. J'avais oublié des années durant la saveur acidulée/sucrée de ses titres, m'étant plongé dans un bain de blues râpeux et de punk vindicatif (comme des panneaux) et mon innocence abreuvée au Baaaaaanga semblait à tout jamais perdue. Pourtant, il ne lui a fallu qu'un instant pour me rattraper, vu que je cours moins vite désormais. Peut-être me suis-je laissé faire, qui sait... Alors c'est donc vrai? Le Pépère a sorti un nouvel album en 2018 et on ne m'avait rien dit? Saperlipopette (or not saperlipopette) est un bel ouvrage, ciselé à la main par un artisan, un orfèvre de la langue et ça fait du bien de ré-entendre la voix sifflante de Gotainer!
Ce grain de voix m'a directement transporté dans les années 80 où l'homme a sévi dans les studios télé, passant de chez Drucker au Club Dorothée (avec son pote d'enfance Jacky Jakubowicz), habillé d'un collant vert ou en abeille butinante. Le clown aux carreaux à effet loupe (Gotainer est myope comme une pelle et a fait de cet handicap un avantage physique) a commencé sa carrière de chanteur public à la fin des années 70, poussé vers la notoriété par un certain Coluche dont il garde selon moi un air de famille et une trajectoire similaire, et c'est pas si mal, en fait.
Le titre La Sempa illustre le film Le Maître d'école. Le sens du ridicule et la mécanique du gag cachent souvent un esprit vif et éclairé, comme le prouvent les textes qui jalonnent la carrière de Richard le bigleux : Le Youki (1984), les Moutons, Un chat un chat (2018), Le Taquin et la Grognon (1977)... allez écouter, lisez les paroles, vous verrez que le gars manipule le mot comme un cuistot devant son piano, et la cuisson est juste parfaite!
Avant lui il y avait Rabelais le pionnier, Brassens le subversif, qui maniait les mots comme un poète guerillero, mais aussi Bobby Lapointe, qui a tellement joué avec les sonorités qu'on l'enseigne encore aux enfants en école de musique. Un conteur rigolo sachant jongler avec les mots. Aujourd'hui, je pense à Oldelaf le folkeux toxique et hilarant (écoutez, entre autres, les différentes versions de La Tristitude), mais mon préféré reste Barcella, artiste surdoué qui avoue son héritage culturel à chaque (excellent) album. Mi-chansonnier, mi-rappeur, le tout dirigé vers l'enfance, donc certainement un gamin élevé au Banga et au Tubble gum... allez-y, c'est du très lourd. La France a un patrimoine de souffleurs de vers incroyable. Y'a qu'à se baisser.
Pour ce qui est du souvenir auditif, la musique décalée n'est pas innocente non plus. En travaillant pour la pub au début des années 80, avec son agence Gatkess (vu qu'il s'était fait virer de chez son premier employeur pour mauvais esprit), Gotainer rencontre Claude Engel, un multi-instrumentiste déjà réputé dans le «métier», comprenez par là qu'il avait collaboré avec quelques grands noms de la musique. J'apprends sur sa bio qu'il a travaillé par le passé avec Magma, Sid Vicious des Sex Pistols (!), mais aussi Johnny, Sylvie Vartan, Herbie Hancock et tant d'autres... un cador, en somme! Ce guitariste génial et faiseur de tubes est responsable de la plupart des titres du chanteur jusqu'en 97, avec l'album mal aimé, considéré par beaucoup comme étant un peu réac et vieux jeu: Tendance Banane. La collaboration entre les deux artistes tient de l'alchimie, mais les deux amis se séparent finalement pour mener une vie de célibataires, l'un dans la comédie musicale, l'autre dans les apparitions télé plus ou moins bénéfiques pour sa carrière... comme dans la série H aux côtés de Jamel, Éric et Ramzy...
Reste que, comme le bon vin, Richard Gotainer sait se cacher au fond de la cave pour réapparaître au moment opportun, lorsqu'on pense ne plus rien avoir à se mettre sous le palais. Ce dernier album est bien écrit, mis en musique par Michael Lapie, un autre ancien musicien de bal devenu son compositeur attitré. Un film, Rendez-vous au tas de sable en 1990 (un bide à sa sortie, mais qui a gravi les échelons du culte depuis) et une pièce de théâtre (La goutte au Pépère) écrite entièrement en alexandrins, nous rappellent que l'homme n'est pas qu'un faiseur de pub, il a aussi un propos plus long et plus alambiqué. C'est un artiste complet et complexe. Mais pas compliqué. Cependant le souvenir est tenace, on ne peut s'empêcher de penser aux jingles de pubs qui l'ont, j'espère, rendu riche à l'époque. Parce que quitte à verser dans le populaire (et on sait que la pub est populaire, voire populiste parfois), autant se remplir le compte au passage pour s'adonner à sa véritable passion, enregistrer des chansons. Ainsi, Belle des Champs, Danette, Banga, Infinitif sont autant de morceaux qui ramèneront toute une génération à l'heure du goûter... comme un réflexe conditionné. Les odeurs, les saveurs reviennent à l'écoute de ces musiques sautillantes et de cette voix filtrée par la Gauloise, dirait-on.
L'homme aux lunettes affirmait il y a peu dans une interview qu'«il faut faire gaffe à ne pas se tricoter un pull de vieux con» dans cette époque ou tout est critiqué dès sa sortie. Le « c'était mieux avant » est fastoche car il nous laisse dans un fauteuil confortable et c'est un endroit sûr pour critiquer l'époque. Bien sûr, une bonne partie de ce qu'on entend à la radio et voit à la téloche est calibré, formaté pour un plus large public possible, mais comme j'ai l'habitude de dire, il suffit de fouiller un peu, de fournir un minimum d'effort pour se rendre compte que cette planète a encore des âmes nobles et des choses à raconter. Si possible en se marrant.
J'aime Richard Gotainer car il s'amuse des travers de ses con-temporains et s'inclut évidemment dans son propos. Un homme qui rit du ridicule et qui tripote encore la vie à soixante-dix balais. Si je peux, je veux bien vieillir comme lui, ça m'a l'air bien rigolo.
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