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STUPEFLIP - Stupeflip (2003)

  • Photo du rédacteur: Tonton Touane
    Tonton Touane
  • 19 févr. 2021
  • 4 min de lecture

(ou la technique au service de la folie)


Cette boucle...



Cette boucle me hante.

Je n'ai jamais eu la mémoire fiable, concernant certaines personnes, ou certains événements de mon histoire. Pour une partie je me suis même surpris à inventer des souvenirs. Par peur, sans doute, de ne pas être en mesure de témoigner de mon passage ici-bas. S'il y avait des trous, je les comblais en imaginant des trucs à peu près plausibles, mais glorieux quand même, et je m’assurais ainsi de la bonne continuité du fil de ma vie. Ne me demande pas la raison profonde, aujourd'hui, je m'en branle avec une mi-bûchette de douze.

Mais s'il y a une chose qui ne s'invente pas, c'est une impression. Celle que te laisse toute ta vie une odeur de crêpe brûlée chez ton voisin à l'âge de 10 ans, la rugosité du crépi de la cuisine familiale (je le touche encore trente ans plus tard), le premier contact visuel de la salle dans laquelle tu vas donner ton premier concert (je me suis littéralement liquéfié), le goût de l'absinthe et ma rencontre avec Stupeflip. Au lieu d'écouter bêtement un disque, j'ai vécu une expérience. Mes oreilles ont perçu des signaux ondulatoires et tous mes sens se sont mis à fonctionner. J'ai écouté, senti, palpé, dégluti et imaginé des trucs très visuels. J'ai presque dégueulé. Une crise blanche sans avoir à tirer sur un joint, c'est pas banal...

Je sais que je ne suis généralement pas avare en superlatifs et autres démonstrations dignes d'un fanclub de Muse, mais rarement il m'est arrivé de fermer ma gueule pendant toute la durée d'un album. Cela m'arrive lorsque plusieurs facteurs sont réunis - un journaliste un peu con dirait «quand les planètes s'alignent»...

Et c'est un peu ce que j'attends d'un disque : qu'il me fasse taire.



King Ju, Cadillac et Pop Hip nous embarquent de force dans leur vaisseau spécial fait de cartons, collages sonores, d'humour potache et de synthés lancinants. Et de cris. Plein. Partout. On se croirait plongé dans l'enfance de David Lynch, où la violence et l'incompréhension priment. L'histoire vraie et la légende s'entremêlent pour nous donner l'impression d'entrer dans un truc bien plus vaste qu'un simple cd de rap. D'ailleurs, c'est pas du rap, ni du rock, ni de la variété, ni du punk, c'est Stup.

On pourrait croire à un accident au cours duquel tous les protagonistes se sont agglutinés et ont fusionné en un amalgame informe. Tiens, je repense à Tetsuo, dans la dernière partie d'Akira, à ce moment précis.


Mais rien n'est accidentel dans l’œuvre du Stup. L'esprit qui a composé et écrit ce machin est certes malade, mais méthodique et obstiné.

Tout au long des 22 titres qui composent ce premier album, on en apprend plus sur l'historique de la bande à Ju (Présentation du Crou), le rétablissement psychique avec le sautillant Je fume pu d'shit, contre-balancé de suite par son double perverti par la rechute J'refume du shit... L'ambiance, on l'aura compris, est malsaine, comme dans l'Epouvantable Epouvantail ou The Cadillac Theory, mais de temps en temps, on sort la tête de l'eau et on profite d'un morceau plus sautillant (l'interventions salvatrice de Pop Hip sur Carry on) et on reprend son deuxième souffle avec Comme les Zot', hommage à la variétoche même pas dissimulé. Puis on replonge au plus profond du déséquilibre mental. J'ai quasiment passé mes premières écoutes de Stupeflip en apnée. Un disque physique, vous dis-je.



Côté humour, le Stup ne se laisse pas faire non plus. C'est pas parce que le monde est naze qu'il faut négliger la répartie... y'a cette punchline en bois au milieu d'un titre hyper sérieux, L.E.C.R.O.U, du style: «On dit que pétrir, c'est modeler, moi j'dis que péter, c'est démolir.». Je sais pas vous, mais moi, je recrache mon Benco par le nez en entendant ce genre de blague. Les contrepèteries de Frédéric Dard ne sont pas si loin, tiens, juste là, sous ton coude...

La haine du système est aussi un thème abordé avec tact et mesure dans le tendre À bas la hiérarchie qui saura réveiller le keupon/gilet jaune/Bigard qui sommeille en chacun de nous.

Il devient évident que les influences de King Ju sont multiples. Le rap français des années 90, le hardcore, la chanson traditionnelle, mais aussi (et surtout) expérimentale comme The Residents, collectif protéiforme né à la toute fin des années 60, qui comptabilise à ce jour environ quatre-vingts albums et qui n'hésite pas à multiplier les performances audiovisuelles trèèèèès... spéciales. La filiation est assumée, et il faut aller chercher les origines du truc pour se rendre compte que Ju est un fouineur de sons, un architecte post-apocalyptique qui vacille entre deux objectifs : Rester underground et honnête quoi qu'il arrive d'une part, et répandre la bonne parole au plus grand nombre de l'autre. Pas fastoche, quand les radios s'emparent et propulsent le premier album à la 40ème position des ventes en France.



Mais je ne veux pas aujourd'hui fouiller le pourquoi du comment, analyser chaque titre de façon indépendante. Non, je veux juste continuer d'ouvrir régulièrement une porte de chambre, voir une ampoule qui se balance au plafond et des murs recouverts d'inscriptions.

Curieusement, avant d'entamer cette présente chronique, je n'avais jamais regardé un clip ou un concert de Stupeflip. Seules les photos et la musique m'ont accompagné et c'est là l'idée de départ de ce fantastique papier : conserver ce premier souvenir sensoriel intact.

J'ai gardé ce disque (ainsi que les suivants) près de moi pour me le passer lorsque mon esprit et mon âme sont disposés à se faire violenter.



 
 
 

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