top of page
Rechercher

THE RAMONES: RAMONES (1976)

  • Photo du rédacteur: Tonton Touane
    Tonton Touane
  • 4 juil. 2019
  • 10 min de lecture

(ou la meilleure façon de compter jusqu'à quatre)

Rien n'est plus facile que d'écrire une chanson. Aujourd'hui, du moins. Nous sommes en 2019 et chacun d'entre nous a intégré assez de données culturelles et sonores dans son disque dur perso pour «savoir» composer grosso merdo un titre. Voire un album. Reste à savoir si celui-ci sera bon, ou pas. D'ailleurs, certains n'attendent même pas de savoir si la came est valable avant de la balancer sur le marché... enfin, c'est un débat qui mériterait une chronique spéciale. Pour expliquer le phénomène, on peut rendre grâce aux groupes qui ont démocratisé et désacralisé l'art du rock entre les années 60 et 70, comme les Stooges, MC5 ou New York Dolls.. Un retour aux sources du rock semblait nécessaire après les déviances psychédéliques et gonflées d'effets électroniques donnant un aspect fabriqué, élaboré, mettons intelligent; voilà, c'est dit. La gonflette baroque de Pink Floyd, de Yes, le côté gentillet de Billy Joel ou David Bowie, merci bien, mais on manquait d'air dans ce manoir bourgeois et cosy. Le besoin de renverser les meubles et d'ouvrir les fenêtres se faisait sentir.

Donc, à cette période, les planètes s'alignent de nouveau comme vingt ans plus tôt et le Rock'n'Roll va renaître sous l'impulsion de quatre branleurs un peu voyous dans les recoins, sachant à peine tenir leur instrument dans le bon sens: The Ramones. (Bon, si t'as lu le titre, tu t'en doutais bien, avant l'intro, qu'on allait pas parler de Claudio Capéo...). Formé en 1974, ce drôle de mix entre les Dalton et un concours de sosies de gens pas connus va mettre le monde - non, ce n'est pas exagéré - au diapason. J'ai été contaminé par les Ramones en 1997, au lycée, dans les pages du magazine Punk Rawk que je lisais religieusement et qui faisait la promo de leur dernier album live We're outta here! En ce temps-là, j'écoutais tous les groupes que la scène punk new-yorkaise 70s avait influencés, des Clash à Rancid, en passant par Bad Brains ou autres Green Day. J'étais loin de me douter que la pochette que j'avais découpée pour décorer mon casier aurait encore une place dans ma mémoire aujourd'hui. La mèche a pris feu quand j'avais quinze ans et le pétard m'a bel et bien pété à la gueule...


Leur credo? Hey Ho! Let's Go! Les premiers mots de Blitzkrieg Bop est un cri de ralliement autant pour eux-mêmes que pour la jeunesse mondiale. Les quatre inconnus tapent maladroitement mais tapent dans le mille. Ils viennent de redéfinir ce que sera le rock et le punk-rock pour les deux générations à venir. Loin de la branlette technique et des titres à rallonge (qui ont tout à fait leur place dans la sphère musicale, attention, je ne crache pas sur le talent!), Joey, Johnny, Dee Dee et Tommy Ramone - oui, tous le même (faux) nom de famille - ont à cœur de jouer un rock qui va droit au but. Trois accords, une batterie minimaliste et des paroles qui évoquent une foule de gamins qui fonce s'éclater en concert de façon sauvage et soudaine comme une «guerre éclair» dirigée par l'armée du IIIème Reich. Le détail teuton viendrait du bassiste Dee Dee Ramone, de son vrai nom Douglas Colvin, qui a grandit à Berlin sur une base militaire US. Le titre composé par le batteur Tommy Ramone (nom de baptême: Tamas Erdelyi, né en Hongrie) devait s'appeler Animal Hop et Dee Dee lui aurait donné un autre sens de lecture en rebaptisant la chanson et modifiant quelques lignes. D'ailleurs, le bassiste sera jusqu'à son départ le principal auteur et compositeur du groupe, piochant dans ses expériences de vie et ses états d'âme pour pondre des chansons plus profondes qu'elles n'y paraissent. Il va écrire seul ou collaborer avec le gratteux Johnny Ramone (John Cummings pour l'administration fiscale) sur neuf des quatorze titres du premier opus. Beat on the brat est écrit par le brailleur en chef, Joey Ramone (Jeffrey Hyman, pour sa maman). Ce titre décrit la meilleure manière de calmer un morveux (brat) avec un outil devenu une référence dans la voyouterie états-unienne, j'ai nommé: la batte de base-ball! Les souvenirs d'enfance dans le parc public de Forest Hills, dans le quartier de Queens, font surface lors de l'écriture de ce morceau que j'ai maintes fois écouté et reproduit sur tous les instruments qui me tombaient dans les papattes. En même temps, les suites d'accords des Ramones ne demandaient pas une technique de shredder à la gratte. Moi-même, j'ai l'impression d'avoir vécu ces moments à regarder les gosses pourris gâtés défoncer leurs jouets neufs et ceux de leurs camarades en prime. Ce titre est cynique à s'en rouler par terre! La reprise la plus rigolote que j'ai entendue est celle proposée par U2, sur l'album hommage We're a happy Family, sorti en 2003. Ce disque est bourré de surprises, allez-y, c'est de la bonne.


Judy is a punk est non seulement le titre le plus court de l'album, mais aussi une double référence probable à un groupe armé d'extrême gauche, le SLA, en même temps qu'un spectacle itinérant de patinage artistique des années 40, les Ice Capades que rejoignent les deux protagonistes Jackie et Judy. Drôle de mélange, certainement le résultat d'un secouage de brushing un peu trop violent de la part du chanteur...hé oui, le forfait est signé Joey, encore une fois. Et puis Tommy nous balance LE morceau love de l'album, le plus lent, le plus smooth...le plus niais aussi. Le deuxième single sorti dans les bacs s'appelle I wanna be your boyfriend. Voilà, tout est dans le titre. Pendant 2min24, il répète à une louloute qu'il aimerait bien être son petit ami. Je zappe un peu les paroles pour m'intéresser à l'instru qui est plus riche que la moyenne, le traitement des guitares est un peu différents et l'on peut ouïr des parties jouées au carillon. C'est classieux sans trop se la péter, non plus. Notons au passage que Tommy Ramone est le plus expérimenté de la bande. Il est ingé son de formation, a participé à l'enregistrement de Band of gypsies de Jimi Hendrix et deviendra par la suite le tour manager du groupe lorsqu'il quittera la batterie en 78 pour laisser la place à l'immense Marc Bell, nom de code: Marky Ramone. Mais c'est une autre histoire. Revenons à nos fripons. Les points communs entre nos lascars sont plutôt rares, étant tous nés dans des familles différentes, l'un sur une base militaire, l'autre se prenant des peignées par son daron, les deux autres élevés au sein par une maman juive...non, les choses qui rassemblent ces mecs sont le rock, les filles, et les films d'horreur. Du coup, lorsque Tobe Hooper sort Massacre à la tronçonneuse (Chainsaw massacre) en 1974, les Ramones sont fans! La chanson Chainsaw en est un hommage de 1min55, joué à la vitesse d'une Black&Decker en rogne. Madoué, quel tempo! J'imagine la gueule des futurs Clash, Sex Pistols et Pretenders lorsque nos quatre zinzins ont joué ça deux fois plus vite (comme d'hab) au Roundhouse de Londres durant la tournée promotionnelle qui a suivi! C'est d'ailleurs devenu leur marque de fabrique, le fait d'enchaîner les morceaux à toute berzingue (cherche dans le dico, ça existe, si si!) sans s'étendre sur le blabla entre deux assauts. Jugez plutôt: sur disque, les 14 chansons vous prendront trente minute d'écoute, tandis qu'en live, le groupe jouait tout en une vingtaine minutes avec des reprises en rappel!!! Si ça, c'est pas les prémices du hardcore, moi je suis Richard Cocciante! Now I wanna sniff some glue est expéditif, brutal et con comme un coup de pied dans le tibia. Quatre lignes, à peine une minute trente, c'est efficace et on s'en souvient en sortant de soirée, même bourré au Cointreau. Que pourrait-on souhaiter de mieux? Je l'ai en tête à chaque fois qu'un érudit vient me balancer ses connaissances sur le contrepoint ou la reproduction du bouleau en rase campagne. I don't wanna go down to the basement est un titre long à écrire sur la barre de recherche, ainsi que le plus long de l'album. Ce morceau cache une bien curieuse histoire pour ma part...quand j'ai lu les paroles il y a vingt ans, je pensais que la cave (the basement) était celle d'un tonton ultra-chelou dont parlait Dee Dee. L'influence des affaires de pédophilie a fait son chemin pendant tout ce temps. Je n'arrive pas à me défaire de cette supposée origine, même si je sais aujourd'hui que l'influence majeure est encore les films d'horreur. (D'ailleurs, le film que m'évoque les paroles, Evil Dead, de Sam Raimi, n'est sorti que cinq ans plus tard...étrange, non? ) La répétition est encore au cœur du titre Loudmouth, dans lequel on peut entendre Dee Dee promettre une danse à quelqu'un(e) s'il (elle) ne ferme pas bien sa gueule comme il faut. Je pense que le jugement et la rugosité des relations étaient des facteurs importants dès le début, chez ces jeunes gens. Le bassiste a longtemps vécu dans la peur et l'abandon, il a dû se forger une âme et une volonté en acier trempé pour survivre à la misère dans laquelle il s'est retrouvé à l'adolescence. Sa biographie Mort aux Ramones! traduite par la sulfureuse Virginie Despentes décrit la vie du groupe, mais aussi les liens qui unissaient chaque membre et les influences personnelles qui ont fait des Ramones un monstre de foire bizarrement homogène par le nom et la tenue de scène. En fait, presque tout opposait les membres du groupe, mais c'est l'entité Ramones qui donnait envie de continuer malgré les violentes dissensions. On peut retrouver ce schéma chez d'autres artistes, mais rarement capables d'une telle longévité. Ça force l'admiration, chez les gens comme moi. D'autres hausseront un sourcil avant de tremper à nouveau les lèvres dans leur cocktail.

Dans Havana affair, l'auditeur est directement envoyé à Cuba, l'île interdite, pour un travail de cueilleur de banane formé par la CIA. Un super scénario de...bande dessinée! Hé oui, Dee Dee et Johnny ont lu Spy vs Spy dans le magazine MAD et ont retenu l'essentiel du pitch inventé par Antonio Prohias! La blague a dû faire plaisir à Johnny, profondément Conservateur et fasciné par les dictatures droitières, quitte à se mettre son chanteur juif à dos. La communication, je vous dis! Une expérience amoureuse mise en échec a souvent été à l'origine de bien des chansons depuis le seizième siècle, dans le chant profane. Sur Listen to my heart, notre ami Douglas (je ne vais pas répéter Dee Dee à chaque fois, il a écrit la plupart des titres, té!) met en avant une déception qui le fait réfléchir. Ce mec là a des sentiments, malgré tout ce qu'il ingurgite! Il a perdu une fille et accuse sa tête de ne pas avoir su écouter son cœur. C'est beau, c'est triste et ça se joue vite. Pour oublier ta peine, bourrine ta basse. Du coup, raconte-nous ta descente aux enfers, Doug! Tu sais, lorsque tu tapinais pour payer tes doses d'héroïne... 53rd &3rd est le titre le plus nihiliste, le plus «Nine Inch Nails» de la galette, c'est aussi certainement mon préféré. Le texte est lourd, la batterie est massive et il n'y a plus une place pour la déconnade au croisement de ces rues new-yorkaises connu pour sa prostitution. Du Lou Reed en plus trash, j'ai pas mieux. Dee Dee soutiendra dans son autobio qu'il «montait» avec des hommes pour payer son loyer d’Éther, d'autres plumes proches du groupe balanceront qu'il était incapable d'une telle attitude. Il n'empêche que les paroles m'ont quelques fois donné des frisson, genre le mec tue l'un de ses clients avec une lame de rasoir pour prouver qu'il n'est pas homo... un sentiment de culpabilité et de honte couvre cette chanson qui sent le béton et la sueur. C'est exactement cela. Les Ramones m'évoquent le béton et la sueur! C'est l'épiphanie! Celle qui vient coller la saleté extérieure dans le club où il fait bon s'entasser. S'encrasser. Tout cela sans enlever sa croûte de cuir. Ça sent l'ouvrier qui quitte son boulot, enfile son jean déchiré et son perf (pas encore clouté, mais ça viendra) et rejoint ses frères pour la deuxième partie de sa vie, la meilleure, la plus exaltante. Bien sûr, je parle un peu de moi, ici, j'ai pleinement conscience d'être un héritier des quatre zinzins de Manhattan. Dans le fond, je suis un Ramone. Tous mes groupes ont été les Ramones. L'unique reprise de ce fabuleux voyage au pays des bisounours post-atomiques est hilarante, au vu du titre et du thème.


La légèreté de Let's dance fait figure de pommade au milieu de toute cette baston d'une demi heure. À l'origine, Chris Montez, en 1962, connaît une période populaire en chantant ce twist qui fera transpirer les ados américains et britanniques, avant de retomber volontairement dans l'anonymat, puis de refaire surface en 66 avec The more I see you, reprise jazz/bossa qui le remet au top de la vague Latine. Aux dernières nouvelles, il ferait encore de la scène, dans des tournées «Âge tendre et tête de bois» version US. Les deux versions sont énergiques, mais l'image des Ramones essayant de remuer du cul dans leurs slims taille 12 ans rajoute un piment dans la recette qui me fait pisser de rire. I don't wanna walk around with you est un titre dans la lignée de Now I wanna sniff some glue: trois accords, deux phrases répétées jusqu'à l'usure et un...oh mon Dieu! Un solo s'est glissé dans l'album! Sauras-tu le retrouver? En 1min43, on comprend que le garçon ne veut vraiment VRAIMENT pas traîner avec cette personne. Encore une histoire de gonzesse qui ne peut pas comprendre les états d'âme de l'artiste/musicien/poète/marchand de donuts, ou juste un pote un peu collant à qui il est difficile d'expliquer qu'il est relou jusqu'à la moelle? La fin du disque est un monument de subversion. Élevé en partie en Allemagne et touché par la deuxième guerre mondiale, Dee Dee, encore lui, s'est permis de faire chanter «Je suis un Nazi, bébé, je me bats pour la mère patrie» à Jeffrey Hyman, un Juif... Le décalage qui en résulte est extrêmement explosif! Un pur concentré de cynisme et de fumisterie dont seuls les Ramones sont capables. Today Your Love, Tomorrow the World est à tout jamais un hymne punk. Le patron de la société de production Sire, Seymour Stein, aurait refusé de sortir l'album tant que certaines de ces paroles n'était pas changées. Seulement, le groupe continuera de remuer la merde sur scène, puisque ce titre figure dans sa version originelle dans tous leurs live pendant 22 années. Sacrés potaches!

Pour terminer ce long papier, je dois dire que j'en apprends toujours un peu plus sur moi à chaque fois que je remets un vieil album sur la platine et que je pose les mains sur le clavier. Comme prévu, les souvenirs remontent du fond des âges et leur analyse a l'effet d'une séance sur le divan. Le mental fait du home trainer et je parviens à comprendre qui je suis en revenant sur mes traces musicales.

Cette chronique n'est pas juste un conseil d'écoute, elle est aussi un exercice cathartique qui fait grandir le petit Antoine qui a piqué les disques de ses parents. Les Ramones ont répondu à une attente de la jeunesse New-yorkaise en 1974/75 et vingt ans plus tard à mon désir de m'émanciper du cocon familial, du carcan artistique imposé par les radios FM et de l'institution scolaire.

Mes premiers pas de branleur éclairé se firent au son d'un «One! Two! Three! Four!».

 
 
 

Comments


© 2019 by Laura P. Proudly created with Wix.com

Abonne toi ou je te pète un bras ...

bottom of page